Antoine Guillot, dans le journal de 18h.
We need to talk about Kevin We need to talk about Kevin ©DR
C'est vraiment l'année des femmes, à Cannes. Elles sont 4 en compétition, un record depuis la création du festival, très nombreuses aussi dans les autres sélections. Et de même que la 50ème Semaine de la Critique ouvre ses portes aujourd'hui avec deux réalisatrices, l'Israélienne Hagar BEN ASHER et la Française Valérie DONZELLI, dont le second film, La Guerre est déclarée, nous a bouleversé, la compétition pour la Palme d'Or a commencé ce matin avec une femme, l'Anglaise Lynne RAMSAY, avec We need to talk about Kevin, un film qui se voudrait choc, mais qui tombe un peu à plat à force de trop en faire. Lynne RAMSAY s'attaque à un sujet qui a déjà fait les grandes heures de la Croisette, avec des films comme Bowling for Columbine ou Elephant : il s'agit des massacres commis dans des lycées américains par des adolescents. Là où Michael MOORE dénonçait une Amérique fascinée par les armes à feu, et Gus VAN SANT (d'ailleurs également présent à Cannes aujourd'hui avec un décevant Restless) signait un chef d'oeuvre opaque en suivant à la trace le parcours de ses adolescents, Lynne Ramsay s'intéresse à la mère du tueur, qu'on va suivre dans un montage façon puzzle à différentes étapes de sa vie. On la voit notamment deux ans après le massacre, ostracisée par tous, mais aussi de la naissance de son fils jusqu'au jour fatal. La mère est formidablement interprétée par la toujours fascinante et très étrange Tilda Swinton, tous les acteurs sont très bons, mais le film énerve vite par la multiplication de ses effets, sa façon de tout souligner, ses abus de métaphores qui disent la culpabilité d'une femme, celle qu'elle ressent parce qu'elle n'a pas su s'occuper de son fils, et celle que la société voudrait lui imposer. Mais surtout, en faisant dès sa naissance du futur tueur un psychopathe pervers et manipulateur, il lui interdit toute humanité, nous permettant ainsi de nous exonérer de cette histoire et de n'être jamais bousculé par le film.
La Belle Endormie La Belle Endormie ©DR
De la perversion et de la manipulation, il y en a pas mal aussi dans le beaucoup plus probant second film de la compétition, lui aussi signé par une femme, on ne s'en sort pas : SLEEPING BEAUTY, de l'Australienne Julia LEIGH, qui signe là son premier film. La Belle Endormie, c'est Lucy, une jeune, jolie et assez délurée étudiante qui survit de petits boulots, jusqu'à ce qu'on lui propose, contre forte rémunération, de se faire régulièrement endormir pour passer la nuit dans une luxueuse villa. Ce qui se passe la nuit, elle l'ignore, mais pas le spectateur : des vieillards fortunés viennent la rejoindre pour y accomplir, comme ils peuvent, leurs fantasmes séniles. Ce qui reste mystérieux, en revanche, c'est cette fille, formidablement incarnée par Emily BROWNING, tant la manière dont est filmée sa vie de tous les jours, tout en ellipse, incite le spectateur à faire fonctionner son imagination pour remplir les vides. Le film tient du conte, comme le reste de l'oeuvre de Julia LEIGH, qu’on connaît comme excellente romancière, et chasse sur le terrain de Sade et Georges Bataille, avec une forte influence de la Jane Campion des débuts, avec aussi un sens de la mise en scène et de l'image tout à fait impressionnant pour un premier film. Un film qui divise beaucoup la critique ici à Cannes, ce qui est toujours un excellent signe chez une jeune cinéaste.
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