Abderrahmane Sissako et Jean-Charles Hue, prix France Culture Cinéma 2015
Comme chaque année, c'est lors du Festival de Cannes que France Culture remet ses prix annuels en cinéma.
Comme chaque année, c'est lors du Festival de Cannes que France Culture remet ses prix annuels en cinéma. Et c'est le multi-récompensé Abderrhamane Sissako qui obtient cette année le Prix, mention Consécration. A ses côtés, Jean-Charles Hue, réalisateur de "Mange tes morts" sorti en 2014, est récompensé du tout nouveau Prix France Culture Cinéma des Etudiants. Un prix attribué par un millier d’étudiants à travers toute la France, issus de 27 écoles et universités qui ont voté parmi 5 films finalistes (choisis dans les 40 films partenaires de la chaîne sortis entre septembre 2014 et mars 2015). > retrouvez les deux lauréats samedi 16 mai en direct de Cannes. A 12h30 dans le Journal de la rédaction, et de 15h à 16h dans Projection privée de Michel Ciment
Jean-Charles Hue, lauréat de la première édition du Prix France Culture Cinéma des Etudiants pour* "Mange tes morts - tu ne diras point* ".
C'est un film entre le polar et le western gitan, haletant, dur, tendre, immersif. Un film sur les chapeaux de roues.
"Mange tes morts ", c’est l’insulte suprême pour un Gitan, celle que l’on envoie à la figure de celui qui renie ses ancêtres. Fred a des traits quasi juvéniles, mais le verbe fort comme son tour de taille lorsqu’il sort de "chtar " (prison). Voilà quinze ans qu’il n’a pas remis les pieds dans sa communauté : celle d’une famille de Yéniches du Nord de la France.
Mais durant ces années qu’il a passées à l’ombre, celle-ci a retrouvé un équilibre dans la religion chrétienne : aussi, les oncles de Fred et le pasteur de la communauté regardent-ils d’un sale œil le retour de ce fils prodigue, qu’ils accueillent avec des mots abrupts. D’autant plus que le jeune frère de Fred, Jason, 18 ans, s’apprête à recevoir le baptême.
Le soir même de son retour, en compagnie de Jason, de son deuxième frère Mickaël, et d’un de leur cousin, Fred va récupérer une voiture dans un obscur garage avant de se mettre en route, pied au plancher, pour tenter d’aller voler une cargaison de 25 tonnes de cuivre contenue dans un camion sous bonne garde.
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Je vais me baptiser, mais… je sais pas trop encore. J’sais pas.
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Tu sais pas trop quoi ?
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J’ai pas profité de ma vie en même temps, j’suis encore jeune, j’peux pas m’baptiser direct.
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Ben ouais m’enfin… le bon choix c’est l’Seigneur. T’auras rien sinon.
Extrait de _* *_Mange tes morts
Entre les exhibitions de muscles et les démonstrations de force, de superstition ou de rude fraternité, le film, comme les courses-poursuites avec les "schmitt" (policiers) aux trousses, va à 300 km/h. On fait vrombir les moteurs, crisser les pneus sur les routes humides, et d’impressionnants nuages de poussière jaune se forment dans la clarté pâlotte des lampadaires. Rapide aussi, le débit de parole : les mots fusent avant d’avoir le temps d’être articulés.
Sans le personnage de la mère, qui s’efforce de faire le catalyseur entre ses fils lorsque les tensions naissent avec le retour de Fred, la présence des femmes serait anecdotique : on les aperçoit sur quelques plans brefs, des bébés dans les bras, invariablement.
Avant de tourner ce long-métrage, Jean-Charles Hue a passé une dizaine d’années en immersion dans la communauté des gens du voyage. Il l’avait d’ailleurs déjà filmée dans La BM du Seigneur (2010). Un intérêt suscité par une découverte personnelle du réalisateur : en se penchant sur sa généalogie, il s’est un jour aperçu que l’un de ses arrières grands-pères était un Yéniche né en Serbie, qui répondait au nom de Dorkel.

Filmographie* : *
2006 : Pitbull Carnaval (court-métrage)
2007 :L’œil de Fred (court-métrage)
2008 : Y’a plus d’os (court-métrage)
2009 : Carne Viva – Première au festival de Turin en 2009
2010 : La BM du Seigneur – Première au FID Marseille en 2010
2014 : Mange tes morts , présenté à la quinzaine des réalisateurs en 2014.
Le 9 octobre 2014, Jean-Charles Hue était l'invité de l'émission Hors-champs. Il y évoquait ses premiers souvenirs de cinéma, la quête de ses ancêtres et son objectif premier : "voler l'âme des gens "
Et dans Les Nouvelles vagues, avant la sortie de Mange tes morts , il racontait son exploration de "territoires périphériques et hallucinés ".
Abderrahmane Sissako * : lauréat du Prix France Culture *Consécration pour l’ensemble de son œuvre.*
D’origine mauritanienne, élevé au Mali, Abderrahmane Sissako est formé à l’école russe (au VGIK de Moscou). Installé en France au début des années 90, il obtient, dès 1994, sa première récompense lors du quatrième Festival du cinéma africain de Milan : le Prix du meilleur court métrage pour son film *Octobre . Le réalisateur est primé de nombreuses fois pour* Bamako, La Vie sur Terre * ou encore* En attendant le Bonheur* , ce qui en fait l'un des trop rares réalisateurs à dimension internationale originaire d'Afrique noire.
Déjà récompensé en 2003 du prix France Culture Cinéma avec Jean-Claude Brisseau, Abderrahmane Sissako a remporté cette année pas moins de 7 César pour Timbuktu , dont ceux de meilleur film et meilleur réalisateur.
Tourné à l'Est de la Mauritanie, Timbuktu raconte l'histoire de Kidane, éleveur touareg au Mali, et la résistance d'une population face à une répression imposée par des islamistes. Le film a eu un retentissement d'autant plus important que sa sortie s'est faite peu de temps en amont des attentats à Charlie Hebdo.
Le cinéaste est intervenu à de nombreuses reprises sur notre antenne, nous vous proposons de le réécouter :
Arnaud Contreras, documentariste pour France Culture, a été un témoin privilégié du tournage du film* Timbuktu* . Son carnet de bord sonore diffusé dans Sur les docks retrace trois semaines de tournage en Mauritanie :
A l'occasion de la sortie de Timbuktu , il était l'invité de Projection privée :
"Quand la victime est un occidental il y a un sursaut, mais en se dressant contre cela on oublie que tous les mois, tous les jours il y a des écorchés. C'est une faiblesse, un vrai problème. Pour moi c'est une obligation d'attirer l'attention sur ce qui ne ressemble pas aux médias, de raconter leurs malheurs ", y racontait Abderrahmane Sissako.
"Je remarque qu'il y a un silence en Occident dès lors que la victime ne nous ressemble pas. Pourtant aucun combat n'appartient qu'à une partie du monde ; dès que l'humanité est blessée il faut être solidaire ", témoignait-il également dans la Grande Table, au micro de Caroline Broué :
L'Islam est une religion de paix, de rencontre et de partage. Pour moi il fallait dénoncer l'obscurantisme car l'Islam est pris en otage par les extrémistes.
En 2011, Abderrahmane Sissako était également intervenu sur notre antenne pour Villes-Mondes Nouakchott
Hélène Combis-Schlumberger et Pierre Ropert
