20 ans après | Août 96, Thierry Grillet et Sylvain Bourmeau se relayent sur France Culture pour recevoir 25 trentenaires émergeant sur la scène culturelle et intellectuelle. Parmi eux, Cédric Klapisch, 34 ans. Vingt ans plus tard, Chloé Leprince lui a proposé de réagir à cette archive. Rencontre avant / après.

En 1996, lorsque Cédric Klapisch est invité sur France Culture à l’occasion de la série d’été “L’âge des possibles”, en partenariat avec les Inrockuptibles, le mensuel vient d’étriller “Chacun cherche son chat”. C’est le troisième long métrage du réalisateur de 34 ans, après “Riens du tout” et “Le Péril jeune”. Sylvain Bourmeau, le producteur, commence avec ces mots l’émission :
Si j’ai choisi aujourd’hui de recevoir Cédric Klapisch, c’est parce qu’aujourd’hui je pense qu’il occupe une place un peu à part dans le jeune cinéma français. Il tient un discours un peu à part.
Pour redécouvrir l'émission tirée de nos archives, vous n'avez qu'à jeter une oreille par ici :
Cette “place à part” doit beaucoup à la “lettre ouverte à la Vieille Nouvelle vague” que Cédric Klapisch avait publiée quelques mois plus tôt dans les Inrocks. “Une commande de l’hebdomadaire”, précise le cinéaste vingt ans plus tard, comme si c’était hier. Polémique assurée dans le Landernau du cinéma français, Klapisch endossait le rôle du pourfendeur de l’académisme du grand écran, procès de la critique en prime. Volée de bois vert et mépris tenace de la critique pour la postérité seront au rendez-vous. Vingt-et-un ans plus tard, le réalisateur garde un goût amer de cet épisode :
Je l’ai beaucoup payé. Je ne pensais pas que cette lettre allait être aussi polémique et j’en veux pas mal à Christian Fevret, des Inrocks, parce que c’était une espèce de piège, assez pourri de leur part. En même temps, ça décrivait sincèrement un problème de l’époque : la Nouvelle Vague ne voulait pas ne plus être nouvelle.
Ce que les gens n’ont pas compris à l’époque, c’est que ça n’empêche pas que je respecte énormément plein de réalisateurs de la Nouvelle Vague - pas tous - et que pour moi, elle reste un des mouvements cinématographiques les plus importants.
Découvrez tous nos portraits avant / après de la série, vingt ans après l'émission d'été "L'âge des possibles"
Passés cinquante ans, le cinéaste ne renie pourtant pas la catégorie du pas-de-côté “parce que, finalement, les choses n’ont pas beaucoup changé, même si on a beaucoup moins besoin d’affirmer que le cinéma français ne se résume pas à la Nouvelle vague”.
Alors qu’il met la dernière main à “Le Vin et le vent”, son treizième long métrage sans compter la série Canal “Dix pour cent” qu’il cornaque, une demi-douzaine de courts et trois documentaires, Cédric Klapisch étrille toujours ce qu’il nomme “académisme” et “dogmatisme”:
Comme d’autres gens de ma génération, je me suis construit vraiment en opposition à eux. Ca m’a fortifié. La haine que j’ai eu pour ces gens-là m’a servi. Elle m’a permis de m’affranchir, d’affirmer des points de vue.
Son Panthéon personnel n’a pas beaucoup changé en 20 ans. Son panneau de chamboule-tout à l’effigie de quelques valeurs qu’il juge surcôtées dans l’histoire du cinéma, non plus. En 1996, Klapisch citait Tati pour mieux enfoncer Rivette. Aujourd’hui, le cinéaste se réjouit plutôt de voir que l’écart se resserre entre ses favoris et les icônes autorisées. Mais ne peut pas s’empêcher d'écorner un peu Rivette au passage :
Si à l’époque vous aviez dit que Jacques Demy était plus important que Rivette, quelqu’un pouvait vous tuer.
Pourquoi cette obsession Rivette?
ll y avait une sorte de fashion intellectuelle. Des tics, des choses qu’on n’avait pas le droit de dire. Quelque chose au-delà de la mode, une façon presque dictatoriale de penser.
Des 25 invités de Sylvain Bourmeau et Thierry Grillet au mois d’août 1996, tous ou presque se seront vus demander si ils avaient le sentiment d’appartenir à une génération en germe. Une sorte de mélange entre communauté de destin et esprit de l’époque. Formé aux Etats-Unis après hypokhâgne, khâgne, et une maîtrise de cinéma à la fac où Klapisch se souvient surtout avoir entendu “le cinéma est mort”, le cinéaste situait à l'époque l’enjeu générationnel à un endroit bien précis :
Ce qui peut être positif dans notre génération, c’est justement qu’il y a un problème avec la théorie. La théorie était propre à la Nouvelle Vague et aux Cahiers du cinéma. Ce que je vois autour de moi aujourd’hui, c’est beaucoup de choses non théoriques. C’est s’attacher aux choses pratiques, aux petites choses, aux choses quotidiennes [...]
Quand je fais mes films, j’essaye de ne pas me référer à des styles de cinéma, mais plutôt à des expériences professionnelles, des souvenirs, des émotions... En essayant justement de sortir de l’idée de la filiation. En France on est un peu trop attaché à donner tout de suite une filiation.
Vingt ans plus tard, Klapisch a peu varié :
Si vous parlez de Le Corbusier à un architecte, ce sera la même chose. On n’a pas le droit de dire que Corbu ce n’est pas si bien que ça ou qu’il y a d’autres gens que Le Corbusier. Il y a toujours des espèces de papas dans tous les domaines. Des pères fondateurs. Des intouchables qui font qu’il y a des sortes de barrières qui empêchent la diversité.
Ce que je défendais à l’époque, et que je défends toujours, c’est la notion de diversité. Le fait qu’il ne faut pas qu’un courant fort crée une impossibilité de faire autre chose que ce que eux ont fondé. Je soutiens que chaque nouvelle génération apporte un discours nouveau, chaque nouveau réalisateur apporte un discours nouveau et qu’il faut laisser cette parole libre et cette pensée différente s’exprimer.
En vingt ans, Klapisch a poursuivi son travail (“quelque chose autour des petits riens”, disait-il en 1996) et initié, aux côtés de Pascale Ferran et Laurent Cantet, la Cinétek. Sorti des limbes fin 2015, le site de VOD offre aux cinéastes de se faire prescripteurs à travers des parcours intimes dans le patrimoine cinématographique :
Il y a clairement la volonté d’être un contre-pouvoir culturel. Il y a des gens extrêmement différents, du documentaire, de la comédie, des intellectuels... On dit: “Voilà, tous ces gens font du cinéma.” Je pense qu’a l’époque, ça aurait été impossible de dire que Weber ou Verneuil sont des réalisateurs. Aujourd’hui, on peut dire que ce sont des auteurs. Là-dessus, les gens et la façon de penser ont évolué.
L'âge des possibles, 20 ans après : à l'été 2016, Sylvain Bourmeau et Thierry Grillet recevaient sur France Culture 24 personnalités ayant en commun d'émerger sur la scène culturelle française et d'avoir la trentaine, parfois à peine. Tout l'été, elles réécoutent cette interview et réagissent.
A découvrir aussi : toute la série "L'âge des possibles" en 1996
Archives INA - Radio France
Biographie de Cédric Klapisch
Par Pierrette Berthaume, de la Documentation de Radio France :
Cédric Klapisch est un réalisateur, scénariste et producteur de cinéma français, né le 4 septembre 1961 à Neuilly-sur-Seine. Après une maîtrise de cinéma à Paris VIII (Saint Denis), il poursuit ses études cinématographiques à l’Université de New York pendant deux ans. De retour en France, il réalise son premier court métrage, "Ce qui me meut" en 1989, et reçoit plusieurs prix. Plus tard, il donnera ce nom à sa maison de production. En 1993, il réalise un téléfilm pour Arte sur un lycée en 1975, "Le Péril jeune". Le film sort en salle deux en plus tard et devient culte pour toute une génération. En 1996, "Chacun cherche son chat" reçoit le Prix de la Critique Internationale au Festival de Berlin. "Un air de famille", adaptation de la pièce de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui obtient trois Césars ainsi qu’un grand succès auprès du public. Après "L’Auberge espagnole", en 2001, on retrouvera les mêmes personnages cinq ans plus tard dans "Les Poupées russes". En 2008, son film "Paris", réalise 2 millions d’entrées en France. En 2016, il tournait en Bourgogne, "Le Vin et le Vent", une histoire de transmission entre un vigneron et ses trois enfants.
Filmographie
- "Ce qui me meut" (court métrage) (1989)
- "Le Péril jeune" (1994)
- "Chacun cherche son chat" (1996)
- "Un air de famille" (1996)
- "Peut-être" (1999)
- "L’Auberge espagnole" (2001)
- "Ni pour ni contre (bien au contraire)" (2002)
- "Les Poupées russes" (2005)
- "Paris" (2008)
- "Ma part du gâteau" (2011)
- "Casse-tête chinois" (2013)
- "Dix pour cent" (série) (2015)
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