Didier Le Pêcheur : "Je préfère être un réalisateur de télé qui tourne qu’un réalisateur de cinéma qui ne tourne pas"
20 ans après | En 1996, Didier Le Pêcheur était invité sur France Culture après avoir réalisé "Des nouvelles du bon Dieu", son premier film au cinéma. Rencontre vingt ans plus tard avec le réalisateur qui s'est principalement tourné vers la télévision et l'écrivain qui n'est pas certain de reprendre la plume.

Il y a vingt ans, lorsque Thierry Grillet recevait Didier Le Pêcheur dans la série d’été “L’âge des possibles”, le producteur de France Culture soulignait son côté “drôle d’oiseau”, “atypique”. Vous pouvez redécouvrir cette archive comme le reste de la série d’été diffusée en 1996 en jetant une oreille par ici :
Déjà romancier et réalisateur, en 1996, Le Pêcheur prenait à contrepied. Celui qui clamait déjà à l’époque avoir “toujours tâché de ne pas être à la mode” n’a pas vraiment cessé. Vingt ans plus tard, il assure s’être “blindé de la critique au point d’être devenu indifférent” mais cite bien vite Télérama ou le Monde quand il s’agit de montrer que les mêmes journaux qui dézinguent ses films encensent ses livres. En France, “ce pays obsédé par les tiroirs pour y ranger les gens”, il continue de faire des films, mais a cessé d’écrire.
Découvrez tous nos portraits avant / après, vingt ans après la diffusion de la série d'été "'L'âge des possibles" sur France Culture
Quand il affirme que c’en est fini des romans, Didier Le Pêcheur sonne bien définitif. Mais un petit souvenir traumatique traine sur le bas-côté de sa trajectoire d’écrivain qui filait pourtant à vive allure, avec déjà quatre livres publiés en 2006 à 46 ans. Cette histoire-là n’a rien à voir avec la critique, qui n’avait pas réservé méchant accueil à Les hommes immobiles, son livre sorti en 1992. Mais son éditrice, Régine Deforges, allait mettre la clef sous la porte juste après la sortie. Direction immédiate, le pilon et Le Pêcheur garde un souvenir amer d’avoir dû aller lui-même aller racheter cent exemplaires du bouquin pour en garder trace.
Assez pour arrêter net, il l’assure rétrospectivement. Et puis un jour, la productrice de certains de ses films, Clémentine Dabadie, tombe par hasard sur un de ses bouquins sur internet, l’achète, le lit… et insiste pour qu’il s’y remette. Lui se souvient de lui avoir dit non. Si Le Pêcheur convoque Rilke, intimant l’ordre à quiconque pensant un instant qu’il pourrait ne pas écrire d’arrêter de le faire, c’est pour aussitôt brasser quelques chiffres d’un tout autre registre :
Ecrire est un investissement énorme, personnel, qui prend du temps et bousille un peu la vie aussi. Tout ça pour que ça parte au pilon ? Et puis, un livre qui marchotte, c’est au mieux 8 000 à 10 000 exemplaires alors qu’un film, c’est tout de suite entre 200 000 et 1 million. Et en télé, c’est un, deux, trois, quatre millions de gens qui le voient ! Je n’avais plus envie, je trouvais ça disproportionné.
Opiniâtre, la productrice met cependant entre les mains d’une éditrice celui qui a commencé la vie active à 18 ans, et fera ses armes dans la pub bien avant de se frotter au cinéma, à 29 ans, en se faisant à lui-même le serment de commencer comme réalisateur et pas comme assistant. L’éditrice marche, et le funeste _Les hommes immobiles _ressort, assorti d’une suite. Pour l’instant, l’histoire ne va pas plus loin :
La littérature est quelque chose de trop importante et trop sacrée pour que j’aille la polluer avec des approximations. Le jour où j’aurai quelque chose de vraiment important à dire, que je me sentirai capable de le dire, et où je reussirai à l’écrire, peut être que je redeviendrai écrivain un temps.
Celui qui affirmait il y a vingt ans à Thierry Grillet ne pas vouloir être “un homme de [son] temps”, confiant une passion romantique (et romanesque) pour la Russie, revendique toujours d’être “quelqu’un de très attaché au passé”. Au point d’avoir arrêté la littérature pour se consacrer exclusivement à des livres historiques - “En me réécoutant en 1996, je me suis entendu dire que la réalité ne m’intéressait pas. Aujourd’hui, je dirais qu’il n’y a plus que la réalité qui m’intéresse, mais passée.”
A une nuance près : Didier Le Pêcheur lit encore des romans, mais seulement “pour [son] métier”, en quête d’adaptations. Car en tant que réalisateur, il assure aimer travailler le scénario d’un autre :
En 1996, je n’avais fait que du cinéma. Depuis cette époque-là j’ai commencé à travailler pour la télévision. Au cinéma je n’ai toujours tourné que mes scénarios à moi : la France vivant toujours sur les acquis de la Nouvelle vague, ne pas être son propre scénariste fait qu’immédiatement vous n’êtes pas considéré comme auteur. C’est très difficile, pour un réalisateur de cinéma, de trouver un scenario à tourner qui n’est pas de soi. Limite impossible. Et, quand on arrive avec un film, les producteurs trouvent bizarre que vous ne l’ayez pas écrit. Or on est bien plus libre quand on tourne le scenario de quelqu’un d’autre. On voit tout de suite où sont les défauts, on n’a pas d’affects par rapport à une scène.
Pour “J’aimerais pas crever un dimanche”, il a mis plusieurs semaines à supprimer la scène qui contenait justement l’image qui lui avait donné envie d’écrire cette histoire-là. Une épreuve à la sortie. :
Au cinéma, j’ai fait mes deux premiers films dans une relative liberté. Le premier, dans les années 90, dans une totale liberté, même. Le deuxième, avec un retour de flamme terrible de la part de la critique, et donc de l’industrie, derrière. Ce film sur le sida est venu trop tôt. Indépendamment de ses mérites ou de ses défauts, “Je n’aimerais pas crever un dimanche” ne méritait pas ça. Bizarrement aujourd’hui, les gens le regardent sur Netflix. Depuis, ça a été très difficile de faire d’autres films. C’est très dur de faire un film. Très dur de faire un bon film. C’est même dur de faire un mauvais film. Je pense que les critiques feraient mieux de se taire quand ils n’aiment pas.
En France, il faut faire des comédies. C’est la télévision qui produit le cinéma. Il faut faire un film pour qu’il passe en prime time, avec un poids énorme sur le casting.
Bizarrement, l’emprise de la télévision sur le grand écran l’a poussé… vers le petit écran. C’est là qu’il travaille aujourd’hui essentiellement, assurant s’épanouir “en tant qu’artisan” :
En télévision, je fais des choses sans doute moins personnelles, des séries par exemple, mais j’arrive à y trouver le plaisir de faire, de fabriquer du cinéma, qui est aussi important que le contenu. Evidemment, c’est bien si on peut faire les deux en même temps. Mais à partir du moment où on ne vous laisse pas faire les deux en même temps, retrouver ce plaisir de fabriquer des films en liberté, avec des gens qui respectent ce que je fais.
Gros consommateur de séries, Didier Le Pêcheur parie sur une nouvelle noblesse du petit écran, après "des années d’ostracisme” - “Mais je m’en fous : je préfère être un réalisateur de télévision qui tourne qu’un réalisateur de cinéma qui ne tourne pas.” Surtout, celui qui confiait à 36 ans se “méfier excessivement de tout ce qui [venait] des Etats-Unis” à l’exception notable de Lynch et Cronenberg et voyait dans le mur de Berlin “une protection contre Coca-Cola” assure en 2016 que le nouveau souffle du monde du cinéma se trouve dans l’univers des séries. Quitte à ce qu’elles soient américaines :
C’est dans les séries que le cinéma indépendant s’est réfugié aux Etats-Unis. Il y a des choses infiniment plus intéressantes, infiniment plus novatrices dans les séries américaines que dans le cinéma américain, même indépendant.
Sa préférence aujourd’hui ? “American crime” et son écriture cinématographique “totalement nouvelle, une invention comme on n’en voit plus depuis des lustres”... et pourtant “pas une série du câble, mais d’un équivalent de TF1 en France”, souligne Le Pêcheur qui totalise pour l’heure sept téléfilms et huit séries souvent très grand public au compteur.
Pascale Ferran, Cédric Klapisch, Denis Robert, Didier Fusillier, Marie Darrieussecq... tous figuraient au casting de la série d'été "L'âge des possibles" sur France Culture à l'été 1996. Vingt ans plus tard, découvrez le dossier avec les émission d'époque et une quinzaine de portraits contemporains réalisés vingt ans plus tard.
Archives INA - Radio France
Biographie de Didier Le Pêcheur
Par Vanessa Chang, de la Documentation de Radio France
Didier Le Pêcheur est un écrivain et réalisateur français né le 5 juillet 1959. Il publie son premier roman Le bord du monde en 1988. Il réalise de nombreux clips et courts-métrages, avant d’aborder le long métrage avec l’adaptation de son propre roman Des nouvelles du bon Dieu en 1996. Dans les années 2000, il collabore comme scénariste ou réalisateur à de nombreux téléfilms et séries policières. Didier Le Pêcheur retrouve le grand écran en 2008 avec "Home sweet home", puis "La liste de mes envies", en 2014.
Bibliographie sélective
- Les Hommes immobiles, Lattès (2006)
- Le Bord du monde, Lattès (1988)
Filmographie sélective
- "Les Bleus : premiers pas dans la police" (série TV) (2007)
- "Sang d’encre' (téléfilm) (2002)
- " Des nouvelles du bon Dieu" (1996)