1989 | Sixième épisode de la série "A voix nue" consacrée à Jean-Luc Godard que le producteur Noël Simsolo interroge sur le lien entre document et fiction et le rapport du cinéma à l'histoire. Le cinéaste condamne la "démission" de l'art devant l'horreur historique et notamment la Shoah, inmontrée.
Dans ce sixième épisode de la série tirée en 1989 de cet entretien entre Jean-Luc Godard et le critique Noël Simsolo, le cinéaste s'interroge sur le sens de ce qu'on considère comme "histoire". Le producteur le fait réagir sur le lien entre fiction et document, actualité historique et romancisation d'une approche historique. Il est alors en train de travailler à son projet "Histoire(s) du cinéma", débuté l'année précédant cette entretien, et qui s'achèvera dix ans et un total de huit épisodes plus tard. Au micro, Godard interroge :
En quoi ce qu'on appelle "actualité" est-il plus historique qu'un autre ? En quoi un plan du "Dictateur" [de Chaplin, ndlr] est-il moins historique qu'un plan de Hitler ? Et en quoi un plan d'Hitler était-il moins chargé de fiction qu'un plan du dictateur ?
Chaplin revient beaucoup parmi les références distillées par Godard tout au long de ces dix épisodes "A voix nue". Ici, il regrette que les cinéastes qui avaient précomposé tous les drames qui allaient advenir aient été impuissants à rendre compte de ces drames. Il déplore le fait qu'on n'ait par exemple montré les camps de concentration dont très peu avaient filmé la réalité - "On ne veut pas utiliser ma capacité à voir." Il souligne "une démission de tous et de tout le monde".
Le cinéaste évoque ici "Nuit et brouillard" d'Alain Resnais en 1956 et "Rome, Ville ouverte" de Roberto Rossellini comme "le seul film de résistance au réel". A ses yeux, le cinéma s'est fait annonciateur et non dénonciateur. Godard parle de la "démission" de sa discipline.
Les deux grands pays qui ont fait des films politiques et qui ont renouvelé le cinéma parce qu'ils étaient politiques est "Naissance d'une nation" [de l'Américain D.W. Griffith ndlr] et "Rome Ville ouverte" [...] Alors que la France, c'est très frappant n'a su faire après [la Seconde guerre mondiale, ndlr] que des films de prisonniers ou des films de souvenirs. Qui ont eu un grand succès pour certains [Godard cite "Les enfants du paradis" ou "Les Visiteurs du soir" ndlr]. Mais les Français n'ont fait aucun film de résistance alors que la Résistance en France a été un moment important, glorieux même. Et encore aujourd'hui il n'y en aura aucun.
- "A voix nue' avec Jean-Luc Godard 6/10
- Producteur : Noêl Simsolo
- Réalisation : Marie-Andrée Armynot
- Première diffusion le 27/11/1989
- Archive INA - Radio France

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