La perversion au féminin
Depuis le XVIIe siècle, des psychiatres décrivent des pathologies fascinantes : des femmes portent atteinte à leur corps jusqu’à mettre leur vie en danger, et mettent tout en œuvre pour que les médecins les reconnaissent malades. Quelle est la logique psychique de cette passion à duper l’autre ?

Il faut s'opposer aux critiques de beaucoup de psychanalystes qui pensent toujours que la perversion ne relève que du registre phallique, et que les femmes n'y auraient accès qu'au travers de l'homosexualité, comme si les homosexuelles étaient toutes perverses, opinion quand même contrecarrée par Sigmund Freud depuis 1905...
Il existe deux façons d’habiter la structure perverse, selon que le parcours de sexuation du sujet l’a conduit à se positionner comme "homme" ou comme "femme", ce qui renvoie à son rapport à la jouissance. Chez le sujet pervers sur un mode masculin, la structuration de son désir le pousse à démasquer la faille de l’autre et à l’y confronter, de façon à pouvoir alors se proposer lui-même pour la combler, mais selon un principe strictement phallique : c’est le même objet qui assure la division de l’autre, tout en prétendant également pouvoir en corriger l’incomplétude, de manière à faire de cet autre l’être complet capable de le faire jouir en retour. Ce mode de perversion renvoie au catalogue classique de la perversion : exhibitionnisme, fétichisme...
Dans la seconde modalité de la perversion, la perversion dite "féminine" consisterait à mettre l’autre face à sa propre division, provoquant ainsi son angoisse, puis non plus à se proposer soi-même comme objet susceptible de le combler comme dans le premier cas, mais à s’arrêter sur la démonstration de cette inconsistance, à en faire matière à une jouissance indicible. Cette perversion au féminin continue de s’inscrire partiellement dans la référence phallique.
Une conférence enregistrée en 2016.
Alain Abelhauser, psychanalyste, professeur des universités en psychologie clinique, auteur de Mal de femme : la perversion au féminin, paru aux éditions du Seuil.