Il est souvent impressionnant d'entendre quelqu'un parler de son métier après des années d'expérience. Dans ce cas-là, il n'est pas rare que le propos aille à l'essentiel. Le temps épure le discours. Même la petite phrase est riche de sous-entendus, de sous-texte, d'implications souterraines nourries par la pratique. Paroles musclées, pas de gras. C'est sans doute chez l'artiste que cela se vérifie le plus.

Le propos est dense, dans le livre de René Farabet "Théâtre d'ondes, théâtre d'ombres" (éd. Champ social), qui se veut "esquisse d'une poétique du sonore". René Farabet a été producteur coordinateur de l'Atelier de création radiophonique pendant des années et jusqu'en 2001. Au départ comédien, il a encouragé, accouché, suscité de nombreux auteurs de radio dans cet espace à part qu'était l'ACR. Et il a produit, évidemment. On imagine difficilement à quel point cet exercice au long cours a dû lui aiguiser l'oreille. Mais on devine la profondeur de son engagement à la lecture des fragments qui composent son "Théâtre d'ondes".
Parfois à la limite de l'aphorisme, toujours dans la friction poétique, son texte dit les possibles du son. Il recrée un dialogue par moments, anonyme et absolu. Les références sont musicales (Cage, Kagel), artistiques (Marinetti), poétiques souvent (Yves Bonnefoy, Armand Robin, Michaux, Robert Pinget...). Ainsi se construit un monde radiophonique nourri d'ailleurs et d'autres. Et si le texte est fait de ruptures et de temps parfois très courts parfois un peu plus longs, on ne peut pas s'empêcher d'y voir un montage . Un montage textuel, très cut. De la radio sur papier, peut-être ? Ou l'écho d'une vie de radio dans le style par le stylo.
Il y a la parole, il y a aussi le lieu : le studio, la régie, le moment du mixage (un chapitre s'intitule "La fabrique du son"). Il y est fait référence comme à un lieu de réflexion et d'énigmes, où le son décide, imposant ses ombres, ses fantômes, ses "allusions et illusions"... C'est là que se dessine une radio qu'on laisse échapper, qu'on rattrape comme le diable par la queue, qui ne se donne jamais totalement, qui appelle à la deuxième lecture-écoute. Hors le refrain.
A la lecture de René Farabet, on se rappelle que la radio est une matière et un mystère. Ci-dessous, quelques extraits.
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"Tu aimerais faire prisonnier le son, l'encager : qu'il chante comme le canari, ce ténor aux pieds plombés. Mais il est de nature traversière, il se joue des garde-frontières, c'est un oiseau contrebandier. Les appeaux du hors-champ, irresistiblement, l'attirent."
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Sons sans papiers, hors série.
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Sons ambigus, métissés.
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Sons bâtards...
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Et la machine, plus tard, pourra éliminerle bruit de fond, essorer le tissu sonore, le nettoyer, le débarrasser de ses "barbilles", jusqu'à l'aseptiser... Remets le son dans l'air ambiant : le voici comme un poisson dans l'eau.
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Pour Molton Feldman, "les sons ne sont pas des sons, mais des ombres". Des ombres qui flottent sur la clairière infinie du silence.
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Sons off, venus d'aileurs, qui jamais ne se posent...
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Sons déferlant par vagues, comme ces brusques volées criardes de martinets qui disparaissent derrière l'auvent...
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Sons vacillants, indécis, éphémères, sons en sursis...
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Brèves salves sonores, sons de mémoire, sons d'oubli...