Le Tribunal de Grande Instance de Pontoise jugeait mardi 22 juillet cinq hommes âgés de 18 à 29 ans pour recel de vol, violences ou possession d'arme (Taser) après les événements de Sarcelles.
Quatre prévenus ont été condamnés à des peines de prison ferme dont trois ont directement été enfermés après leurs procès. Un seul a reconnu avoir participé à la manifestation interdite, la police a arrêté les autres en marge du rassemblement. Les avocats regrettent que la justice ait été rendue sous la "pression politique et médiatique" .

Lors de la comparution des cinq prévenus (quatre dossiers), on s'attendait, peut-être à tort, à voir défiler devant le tribunal de dangereux casseurs et les principaux acteurs des violences du dimanche 20 juillet à Sarcelles. Mais les profils des prévenus n'avaient rien à voir, sauf pour l'un d'entre eux.
*"Notre mère nous a demandé d'acheter du pain"* **
Les deux premiers prévenus sont des frères de 25 et 28 ans. Ils n'ont jamais été condamnés et leurs casiers judiciaires sont vierges. Le plus jeune est en CDI depuis plus de trois ans et l'aîné est au chômage.
Ils sont poursuivis pour avoir jeté une bouteille en verre contre des policiers. Dans le box des prévenus, les frères jurent qu'ils n'ont rien fait. Selon eux, s'ils sont sortis malgré les heurts, c'était pour acheter du pain à la demande de leur mère. D'ailleurs, ils disent ne pas avoir été au courant de l'organisation du rassemblement de Sarcelles.
La présidente du Tribunal leur demande alors pourquoi ils se sont mis à courir, et pourquoi l'un d'eux était porteur d'un t-shirt portant l'inscription "Palestine vivra" . Le prévenu explique avoir trouvé le vêtement par terre.
Une version qui laisse perplexe la présidente et le procureur. Ce dernier demande dans ses réquisitions à ce que les deux frères soient condamnés à quatre mois de prison, dont deux mois ferme, avec mandat de dépôt (emprisonnement immédiat). Une peine "pour le rétablissement de l'harmonie sociale".
Même si les poursuites ne concernaient pas la participation à la manifestation, le représentant du ministère public est revenu longuement sur le "contexte" de cette manifestation et sur les conséquences des violences de Sarcelles :
Je ne peux que constater que la communauté de Sarcelles et de Garges (commune voisine, ndlr) a été blessée. Je parle bien de LA communauté. Il n'y a pas des communautés mais une seule communauté. Tout le monde sait qu'à Sarcelles il y a le ciment républicain.
Au contraire, pour l'avocat des deux frères, il n'est pas question d'évoquer le "contexte" puisque ses clients n'ont pas participé à la manifestation et qu'ils disent ne pas avoir été au courant de son organisation. "Moi je vais m'arrêter au dossier" , explique Maitre Arié Alimi confrontant la version des prévenus qui n'a pas "changé d'un iota même dans les détails les plus précis" alors que les versions des policiers "vont varier à chaque PV" selon l'avocat qui plaide la relaxe "pure et simple" . L'avocat revient finalement sur ce fameux "contexte" :
C'est un contexte de pressions. Pression des médias. Vous avez ici des journalistes (une dizaine dans la salle, ndlr) qui attendent de rendre compte à l'opinion publique, qui n'attend elle aussi qu'une chose : des condamnations. On n'a parlé que d'une chose : le contexte. Moi j'attends une justice équitable. (…) On est prêts à tant de choses pour répondre à la pression ? Cela me fait peur. Alors j'attends que vous, tribunal garant des libertés, ne cédiez pas à la pression populaire ou médiatique .
Finalement, le tribunal condamne les deux frères à six mois de prison, dont 3 mois ferme, avec mandat de dépôt.
Après l'audience et avant que le tribunal ne rende son jugement, plus sévère que les réquisitions du parquet, l'avocat Arié Alimi est revenu sur le dossier qu'il défendait :
Contrôlé avant la manifestation en possession d'un Taser
Cet autre prévenu n'est pas non plus poursuivi pour les violences commises à Sarcelles mais pour port d'arme prohibée. Lors d'un contrôle, les policiers ont trouvé dans son sac un pistolet à impulsion électrique Taser. "Pour se défendre" a expliqué le prévenu. "On ne vient pas avec une arme à une manifestation qui appelle à la paix" lui a répondu le procureur qui a requis six mois de prison dont trois avec sursis, et mandat de dépôt. Il est condamné à trois mois de prison, aménageables.
Une amende pour avoir ramassé quatre paquets de cigarettes issus d'un vol
Le plus jeune des prévenus est tout juste majeur, depuis moins de deux mois. Il a eu son bac cette année, et n'a jamais eu le moindre problème avec la police et la justice. Jusqu'à ce dimanche 20 juillet. Envoyé acheter du pain par ses parents, il renonce devant l'ampleur des violences, mais ne rentre pas chez lui et rejoint plutôt deux amis, mineurs. Ils se trouvent à proximité d'un bar-tabac qui vient d'être pillé et saccagé par des casseurs. Le jeune homme récupère alors quatre paquets de cigarettes par terre. Il sera arrêté en compagnie de ses amis.
A l'audience, le procureur lui rappelle qu'il risque jusqu'à sept ans de prison pour recel de vol, en ajoutant :
Ce soir, vous pouvez dormir en prison.
Face à lui, le jeune sert les dents et retient ses larmes. Il est inscrit pour la rentrée prochaine en classe prépa. Vu son profil, le procureur s'interroge : "qu'est-ce qu'il fait dans cette galère ?" Dans la salle, la mère du prévenu pleure. Des sanglots audibles à chaque fois que le procureur évoque la prison. Il demandera finalement des heures de travail d'intérêt général.Le tribunal le condamne à 400 euros d'amende.
Le dernier prévenu a le casier judiciaire le plus chargé avec sept condamnations. Il a 21 ans et admet avoir participé au rassemblement de Sarcelles. Il reconnaît également avoir jeté des projectiles sur les CRS, "pour faire comme les autres" . *Le tribunal l'a condamné à dix mois de prison, dont six mois ferme, qu'il a commencé à purger immédiatement après le prononcé du jugement. * C'est le seul des cinq prévenus à avoir un profil de délinquant.
Les enquêtes se poursuivent
Le tribunal a jugé des personnes souvent sans histoire. La situation à Gaza ? Les raisons de la manifestation ? Le projectile contre la synagogue de Sarcelles ? Il n'en a pas été question. Un des prévenus dira même lors de son procès, à propos du conflit au Proche-Orient :
Je ne suis pour aucune partie (…) je ne suis ni pour ni contre, j'en ai rien à foutre.
Comme l'a résumé, un peu malgré elle, la présidente du tribunal lors des audiences :
Il y en a qui courent plus vite que d'autres.
Sous couvert d'anonymat, un policier habitué des missions de maintien de l'ordre confirme :
Dans ce genre de manifestations, on n'interpelle que quelques pauvres bougres pas assez vifs pour fuir !
Différents services de police du Val d'Oise sont chargés d'enquêter sur les violences, les vols et les dégradations.
Alors que le conflit israélo-palestinien entre dans sa troisième semaine, le politologue Thomas Guénolé, maître de Conférences à Sciences Po, met en garde contre les amalgames en France : manifestants pro-palestiniens, casseurs, antisémites... Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac selon lui. Thomas Guénolé redoute notamment une nouvelle stigmatisation des jeunes de banlieue. Il est joint par Catherine Duthu :

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