Contrôle des banques, salaires décents : comment imaginait-on le monde post-crise financière en 2008
La crise financière a maintenant 10 ans. Et s'il est difficile de mettre une date exacte sur la sortie de crise, on se souvient en revanche de ses origines, lorsque les banques, l'une après l'autre, mettaient la clé sous la porte. A l'époque chacun se demandait à quoi ressemblerait l'après.

Il y a maintenant 10 ans, les premières banques d'investissement s'effondraient, entraînant un effet domino : Freddie Mac, Fanny Mae, Lehman Brothers, Merril Lynch... A l'automne 2008, dans la foulée de la crise des subprimes qui a débuté un an plus tôt, l’ampleur de la faillite est telle que les Etats sont rapidement contraints d’investir dans les banques, quand il ne s’agit pas de les nationaliser pour éviter l’effondrement général du système bancaire. La fin de la crise semble alors loin et, entre volonté de contrôle des institutions financières et plans de relance, chacun se demande à quoi ressemblera le monde post-crise.
En 2009, dans l’émission Le Sens des choses Jacques Attali et Stéphanie Bonvicini consacraient plusieurs épisodes à la notion de crise et imaginaient prudemment, en compagnie d’économistes, les solutions qui allaient émerger au sortir de la crise.
La fin des paradis fiscaux
En août 2009 dans Le Sens des choses, le directeur général adjoint du groupe boursier New York Stock Exchange Euronext, Jean-François Theodore, imaginait ainsi une "crise accoucheuse de réformes”, à même de mettre à mal les économies criminelles :
On voit que quand un certain nombres d’Etats socialement responsables sont placés sur des listes d’index, qui simplement les stigmatisent à l’égard de l’opinion publique, ça produit un certain effet. Sur la Suisse, sur des pays qui nous sont proches... Les relations entre l’Allemagne et le Liechtenstein, par exemple, là il y a eu un certain effet. Il existe dans la plupart des pays développés des mécanismes assez puissants de l’économie criminelle. Ces mécanismes sont efficaces et on peut avoir dans certains Etats des trous de réglementation, c’est à ça qu’il faut veiller. [...] Les politiques de par le monde souhaitent que l’univers de la finance ne s’étende pas au delà de ce que doit être son rôle normal : le financement de l’économie, des entreprises, etc. On ne voit pas encore la solution, mais je pense que l’orientation vers plus d’organisation - j’ai dit régulation ça a l’air peut-être un peu gendarme - me semble claire.
En 2009, l'OCDE avait rendu publiques deux listes de paradis fiscaux : une liste noire incluant les pays qui ne se sont jamais engagés à respecter les standards internationaux, et une liste grise, incluant 38 pays dont Monaco, le Liechtenstein, la Suisse, le Luxembourg et la Belgique, qui recense les Etats qui se sont engagés à respecter les règles de l'OCDE mais ne les ont pas "substantiellement" appliquées.
Monaco, puis la Suisse, en étaient sortis en l'espace de quelques mois, malgré le scandale helvète de l'affaire UBS.
Pourtant les récentes affaires des Panama papers puis des Paradise papers ont prouvé que ces économies criminelles, loin de cesser d'exister, continuent d'opérer discrètement. En réponse à ces affaires, l'Union européenne a créé ses propres listes noire et grise en décembre 2017. Un mois plus tard, la moitié des pays de la liste noire avaient d'ores et déjà été retirés, après s'être engagés à "remédier aux inquiétudes de l'Union européenne".
Une remise en cause de la disparité des salaires
Invité de l’émission Le Sens des choses consacrée à l’évolution du travail et de la consommation dans la crise, Jean Kaspar, PDG de JK Consultants, cabinet de conseil spécialisé dans les relations sociales, pointait du doigt l’importance des écarts de salaire et attendait des PDG d’entreprises qu’ils se comportent de façon plus éthique :
La crise a au moins ce mérite de montrer qu’il y a des disparités absolument non justifiées. Quand je vois aujourd’hui que certains patrons du CAC 40 sont payés 350 fois plus que le salaire moyen de leur entreprise, ça ne colle plus. Alors que quand on regarde, les grands capitalistes américains expliquaient dans les années 1920 que la hiérarchie entre le salaire moyen et le salaire maximum devait être de 1 à 40. On a besoin aujourd’hui de revoir ça, de revoir le problème de la hiérarchie des revenus, des salaires, faute de quoi on ne créera pas les conditions d’une mobilisation positive de l’ensemble des acteurs, parce que ce type d’injustice est de plus en plus insupportable. Il y a une prise de conscience indiscutable sur ce sujet. [...] Je suis choqué qu’il faille un président de la République qui explique aux banquiers que compte tenu de la situation financière, et bah les copains il va falloir ne pas bénéficier des bonus… Comment voulez vous que le salarié à qui on propose 2 % d’augmentation du salaire puisse accepter ce différentiel s’il n’y a pas d’éthique.
Dix ans après le début de la crise, force est de constater que les disparités des salaires n'ont guère évolué dans le bon sens. En 2018, l'étude de l'ONG Oxfam sur la répartition des richesses dans le monde confirmait que 82% des richesses produites en 2017 ont bénéficié aux 1% les plus riches.
Mais la crise bancaire de 2008 avait surtout pointé du doigt les salaires des grands patrons des banques et entreprises. Quid de ces disparités 10 ans plus tard ? Selon le Wall Street Journal, les salaires des patrons ont continué de croître en 2018 : à Wall Street, les patrons des cinq plus grandes banques sont rémunérés en moyenne 25,3 millions de dollars, un salaire en hausse de 17% par rapport à 2017. Et en Europe ? Dix ans après la crise, les dirigeants des plus grandes banques d'Europe continuent d'afficher des salaires à la hausse : le patron de BNP Paribas a gagné 9,4 millions d'euros en 2016, soit près du double de l'année précédente.
En France, un patron du CAC 40 empoche en moyenne près de 2,3 millions d'euros par an, contre 32 973 € pour un salarié moyen : c'est 70 fois plus.
Un retour aux banques traditionnelles
En août 2009, Baudouin Prot était venu évoquer l’avenir des banques après la crise. Il était alors directeur général du groupe BNP Paribas, la première banque française en terme de capitalisation boursière, elle-même durement touchée par la crise des subprimes :
De façon un peu caricaturale, on a plus que jamais besoin de banques traditionnelles, sérieuses, sinon ennuyeuses, dont les fonctions clés sont de collecter des dépôts et de gérer l’épargne de leur client d’une façon qui assure la sécurité de cette épargne : et de l’autre côté faire des crédits aux agents économiques pour accompagner leur développement. Plus les banques se sont éloignées de ces principes simples plus elles en ont souffert.
Les banques devaient donc, à en croire les plus hautes instances des établissements bancaires, retrouver des fonctions plus traditionnelles, à la fois pour se protéger mais également pour restaurer la confiance perdue avec leurs clients. De fait, au sortir de la crise et avec la fin du mythe de l’auto-régulation ou de la main invisible, les banques ont pris soin de séparer leurs activités d’investissement et de se débarrasser de leurs créances douteuses.
Pour s'en assurer, en 2010, les Etats-Unis ont ainsi mis en place le Dodd-Frank Act, qui met fin au mouvement de déréglementation du système financier, limite les investissements des banques dans des fonds d’investissements et encadre les produits dérivés financiers.
Dans l’Union européenne est créée l’Union bancaire, qui surveille 130 grandes banques européennes. Ces dernières sont d'ailleurs, tout comme aux Etats-Unis, soumises à des stress tests. La "résolution bancaire", entrée en vigueur en décembre 2015, prévoit également de responsabiliser les parties prenantes privées : elle a pour mission de protéger le contribuable en faisant payer les actionnaires et créanciers si une banque venait à faire faillite.
Aux Etats-Unis, ces mesures ont cependant pris fin avec l'avènement de Donald Trump. Le président des Etats-Unis a signé en mai dernier un texte de loi assouplissant la réglementation bancaire qui avait été mise en place au sortir de la crise. Si cette nouvelle loi concernait surtout les banques de petite et moyenne taille, Donald Trump a précisé que son administration l'appliquerait "peut-être" également aux grands établissements bancaires.
Un ancien système inchangé
Dans l’émission consacrée à la réaction des gens face à la crise, le psychanalyste et neuropsychiatre Boris Cyrulnik était un peu plus pessimiste que les autres invités et estimait de son côté que la crise n’allait pas remettre en cause l’ordre des choses :
Parmi nous il y a des gens qui disent "c’est la crise : donc on va reprendre le développement comme avant, c’est-à-dire qu’on va remettre en place ce qui a marché avant". Or ce qui a marché avant nous a mené à la crise. Donc on peut penser que ce qui a marché avant peut à nouveau nous mener à la crise, à la répétition de la crise. Et en psychanalyse la répétition c’est ce qui caractérise la névrose. Je fais l’hypothèse que des économistes diront "On va remettre en place l’ancien système : puisqu’il a marché, il va marcher". [...] C’est la répétition névrotique qu’on va faire sur le plan social. Ce qui va produire la répétition de la crise.
Puisque cela fonctionnait “avant” la crise, pourquoi certains ne voudraient-ils pas en revenir au système précédent, prophétisait en somme le neuropsychiatre. Il n'avait pas tout à fait tort : si les mesures d'urgence prises par les Etats ont changé la façon d'appréhender l'économie bancaire, et si des outils de contrôle ont été instaurés, il n'y a pas eu de remise en question du système bancaire.
Dans l'opinion publique, l'Islande a souvent été perçue comme un modèle en la matière, en refusant de payer ses dettes aux banques et en les laissant mettre la clé sous la porte. Cette idée vient en réalité du fait que le peuple islandais a refusé, par référendum et à deux reprises, un programme de remboursement de la dette de 3.5 milliards de dollars générée par la banque de prêt en ligne IceSave. Mais l'Islande n'en a pas moins eu recours à la nationalisation et la recapitalisation des banques, à la dévaluation de sa monnaie, ou encore à l'aide du FMI. Elle n'a pas, non plus, échappé à l'austérité. Ceci dit, le pays n'en a pas moins eu une gestion de crise bien différente de celle des autres pays européens : plutôt que de sauver toutes les banques, elle a choisi ce qu'elle voulait sauver de son secteur bancaire, quitte à s'opposer aux autres Etats européens.
De fausses utopies économiques
Toujours dans la même émission, Boris Cyrulnik poursuivait :
Cette situation qui est douloureuse pour certains va nous obliger à penser la condition sociale différemment, et là on va avoir tous les mécanismes de défense habituels, c’est-à-dire qu’on va avoir le choix entre la régression, la démission, l’abandon… Il va y avoir aussi parmi nous des utopistes qui vont naître, des sauveurs, avec un espoir immédiat. La bombe à retardement qu’implique la notion de sauveur… Je suis certain qu’il y a des sauveurs qui vont proposer des utopies économiques magnifiques, qu’on paie par la suite très cher.
La crise financière n'a pas vu émerger de grands gourous, mais elle a cependant eu pour conséquence directe l'émergence de mouvements citoyens, à l'image d'Occupy Wall Street aux Etats-Unis, ou du Mouvement des indignés en Espagne. Si aux Etats-Unis le mouvement semble s'être essoufflé, en Espagne le Mouvement des indignés a conduit à la création de Podemos, un parti politique anti-austérité.