Controverse | Avec 3,4% du budget de la Culture (341 millions d'euros), le patrimoine monumental n'espère presque plus rien du ministère. Pour ne pas tomber en ruines, il est forcé de se réinventer en entreprise de divertissement, de luxe ou d'immobilier. Revue d'arguments, favorables ou non à cette tendance.

L'annonce du budget 2018 enfonce encore un peu le clou : le budget alloué au patrimoine baisse de 0,1% par rapport à 2017, et représente 3,41% du budget global du ministère de la Culture. La récente nomination par Emmanuel Macron de Stéphane Bern pour une mission bénévole visant à répertorier le patrimoine en péril et à trouver des ressources innovantes pour le restaurer, a suscité des critiques mais aussi des applaudissements dans le milieu des conservateurs et des universitaires. Revue d'arguments favorables ou non.
Contre : haro sur le "patrimoine clinquant"
La politique patrimoniale française étant de la responsabilité du Président de la République, la nomination d'un animateur de télévision a de quoi faire grincer des dents. La mission aurait dû échoir au mieux à la ministre de la Culture ou bien au directeur des patrimoines ou encore à un haut fonctionnaire du secteur et même à une universitaire. Le choix d'un animateur de télévision, même s'il permet à de nombreux citoyens de découvrir des œuvres patrimoniales, a donc de quoi décoiffer. Certains s'en inquiètent, comme l'historien Nicolas Offenstadt (Paris 1).
Cette tournée c'est de la communication, c'est du bling bling qui, à l'image des émissions de Stéphane Bern, va mettre en avant le patrimoine clinquant, celui qui plait aux touristes américains. Le patrimoine mérite mieux que d'être confié à un comique.
Stéphane Bern en charge du patrimoine : "Sa vision de l’histoire est étriquée et orientée" https://t.co/Qgqz5MiMS8 via @LObs
— Nicolas Offenstadt (@Offenstadt) September 18, 2017
Le patrimoine ferait donc les frais d'une certaine vision de l'histoire divertissante qui ne serait plus le fondement d'une culture citoyenne dans une démocratie mais de la pure de consommation. La télé réalité proposant par exemple de vivre une aventure dans la Rome antique, ou dans les tranchées de la guerre 14 sans aucun contexte historique.
Le danger est bien sûr de faire passer une idée sans nuances et fantasmée de l'histoire de France en mettant l'accent sur un patrimoine qui plait au plus large public (les beaux châteaux, les belles églises, les beaux villages etc...) alors que le patrimoine industriel, colonial, et tout ce qui fait la marque de la diversité de l'histoire de France serait laisser de côté.
Pour : l'argent privé afin de sauver le patrimoine
Mais comment faire lorsque chaque année, depuis des décennies, le budget du patrimoine monumental c'est 0,3% du budget du ministère e la Culture ? Comment faire lorsque les collectivités territoriales ne choisissent pas non plus de consacrer un budget suffisant à la rénovation par exemple des centres villes historiques ? Il faut se tourner vers de l'argent privé ! C'est le cas de la Fondation du Patrimoine qui grâce au mécénat soutient plus de 20 000 projets de rénovation par an et parvient à rassembler près de 1 milliard d'euros et demi pour sauver des bâtiments publics et privés.
Pour de nombreuses entreprises, c'est une manière de défiscaliser tout en travaillant et en vendant leur image. Mais le changement de ces dernières années c'est le développement du mécénat participatif qui permet de sauver des lieux souvent anecdotiques aux yeux du grand public (ateliers paysans, friches industrielles, petites chapelles etc).
Si le recours à des associations de défense du patrimoine n'a rien de nouveau, internet a permis de multiplier le mécénat des particuliers qui prennent ainsi part, via la défiscalisation de leurs dons, à une politique de défense directe de leur patrimoine. Alain de la Bretèche, président de la Fédération Patrimoine Environnement

La tendance de fond : un patrimoine qui gagne sa vie (tout seul)
Sauf que mis bout à bout et malgré les affichages de grands mécènes qui ont permis par exemple de rénover Chambord via une contribution de 3 millions d'euros, ni le mécénat, ni les collectes ne permettent vraiment de sauver les monuments. Pour preuve, le Panthéon n'a pu recueillir que 65 000 euros pour des travaux évalués à 19 millions.
La solution est donc ailleurs et c'est vers ces innovations que va le président de la République. Il s'agit de rendre les monuments plus rentables afin qu'ils se suffisent à eux mêmes. Cette idée qui est en cours au cœur même du patrimoine français, avec le fameux centre des monuments nationaux (CMN)
Le problème est que si vous faites un musée dans un monument, le coût de fonctionnement est trop élevé pour assurer la rénovation. Il s'agit donc de faire preuve de créativité. Pourquoi ne pas ouvrir les monuments à des logements privés, des bureaux, des EHPAD, des écoles ou des crèches ? le loyer perçu permettrait de maintenir le monument en état. Philippe Bellaval, président du CMN
En attendant les projets de ce type qui voient le jour sont surtout des hôtels de luxe comme cette aile du château de Versailles qui va devenir un hôtel restaurant, ou encore l’hôtel de la Marine à Paris qui proposera dès 2018 7000 mètres carrés de bureaux.