Nicolas Berggruen, le milliardaire qui veut "réformer" l’Europe et le capitalisme
Enquête | Son nom est apparu dans l’affaire Sylvie Goulard, rémunérée par son think tank alors qu’elle était eurodéputée. Nicolas Berggruen est aussi un fervent soutien d’Emmanuel Macron. Mais qui est ce milliardaire germano-américain très influent, "philanthrope" et pratiquant l'optimisation fiscale ?
"Les démocraties sont en crise. Il faut les réformer." Ainsi parle dans un français impeccable Nicolas Berggruen, 58 ans, à la cellule investigation de Radio France depuis son bureau de Los Angeles.
Aujourd’hui, la fortune de l’homme d’affaires germano-américain est estimée à 1,6 milliard de dollars, selon le magazine Forbes, mais son parcours et ses idées restent largement inconnus du grand public.
Le nom de Nicolas Berggruen a surgi à l’occasion de la candidature de Sylvie Goulard au poste de commissaire européenne. Pendant plus de deux ans (entre octobre 2013 et janvier 2016) Sylvie Goulard a été rémunérée entre 10 000 et 13 000 euros par mois par le think tank de Nicolas Berggruen alors qu’elle était députée européenne. Ce dossier a pesé lourd dans le rejet de la candidature de Sylvie Goulard, tout comme celui des emplois présumés fictifs du Modem au parlement européen. Une décision qui a "stupéfait" Nicolas Berggruen, comme il l’écrit dans un communiqué (en anglais).
Le 2 décembre 2019, Sylvie Goulard, seconde sous-gouverneure de la Banque de France, a été mise en examen pour détournement de fonds publics dans cette affaire du Modem. Le 18 décembre 2019, l’association Anticor dépose plainte auprès du Parquet national financier (PNF), concernant les liens financiers entre Sylvie Goulard et l’Institut Berggruen.
"Du côté de l’influence"
"Nicolas Berggruen essaye de devenir à sa manière ce qu’est Georges Soros : un homme d’État sans État, explique l’un de ses proches, Alain Minc. Dans la vie politique, il y a le pouvoir et l’influence. Berggruen veut être du côté de l’influence."
Et Nicolas Berggruen voit grand. Dans une vidéo promotionnelle postée le 2 décembre 2019, on voit l’homme d’affaire déambuler dans ses bureaux de Los Angeles. "Regardez ça, dit-il en montrant un mur rempli de post-it. Voilà sur quoi on travaille : les transformations de l’être humain. De grandes questions pour l’Humanité. Où allons-nous ? Qui sommes-nous ? Que voulons-nous devenir ?" "Ça parait très ambitieux", dit une voix derrière la caméra. "Il faut être ambitieux, si on veut changer les choses", répond, sûr de lui, Nicolas Berggruen avant de s’engouffrer dans un ascenseur avec liftier.
Aujourd’hui, l’homme d’affaires ne craint plus d’être en pleine lumière, ce qui n’a pas toujours été le cas. Lorsqu’au début des années 2000, un journal hollandais lui consacre un portrait qui ne lui convient pas, l’homme d’affaires décide de racheter tous les exemplaires publiés. "Je trouvais que c’était prétentieux, se justifie aujourd’hui Nicolas Berggruen. Ce portrait était une mauvaise idée."
Depuis 2016, l’Institut Berggruen remet chaque année un prix "pour la philosophie et la culture" d’un million de dollars (mieux doté que le prix Nobel). En 2019, ce prix a été remis à une juge américaine, membre de la Cour suprême.
Dans le grand bain de la finance
Petit retour sur le parcours de Nicolas Berggruen.
Ce fils d’un riche marchand d’art, collectionneur de Picasso, a passé son enfance en France, avant d’être envoyé dans des établissements scolaires prestigieux : l’École alsacienne, à Paris, puis l’Institut Le Rosey, en Suisse. À 17 ans, il s’installe à New York où il devient rapidement un expert en capital-investissement (private equity) et en LBO (leverage buy-out, rachat avec effet de levier), un montage financier qui permet de racheter une entreprise par l’endettement.
Dans un article de mars 2009 du magazine Forbes, Nicolas Berggruen est qualifié de "financier vautour par défaut". "Je rachetais des entreprises sur le long terme, pas pour faire du spéculatif", explique, de son côté, l’homme d’affaires."
Dans les années 90, Nicolas Berggruen affirmait de manière un peu provocatrice que puisqu’il était riche par héritage, il était peut-être mieux placé que les autres pour comprendre les problématiques des riches, témoigne le directeur de la rédaction du Nouvel Économiste, Henri Nijdam, qui a côtoyé Nicolas Berggruen lorsqu’il a investi dans le groupe de presse portugais Media Capital. Nicolas avait cette culture anglo-saxonne qui considère que la presse est une entreprise comme les autres."
C’est l’époque où Nicolas Berggruen fascine la presse anglo-saxonne mais aussi française, qui le surnomme le "homless billionaire", "le milliardaire sans domicile fixe", sillonnant la planète à bord de son jet privé.

De Hollywood au forum de Davos
L’homme soigne également ses réseaux à Hollywood. "Nicolas Berggruen a longtemps organisé une grande fête très courue au Château Marmont, un hôtel chic de Los Angeles, juste avant la cérémonie des Oscars", rappelle le journaliste Vincent Monnier qui a rencontré l’homme d’affaires en 2014 pour un portait publié dans Le Nouvel Obs.
"Je n’organise plus cette fête depuis cinq, sept ans… dix ans, peut-être", répond Nicolas Berggruen, désormais installé à Los Angeles dans la somptueuse villa de la fille du fondateur de la Metro-Goldwyn-Mayer.
Il n’y a pas que le monde du spectacle que côtoie Nicolas Berggruen. "Il a toujours été un pilier des forums économiques comme celui de Davos, témoigne Pascal Lamy qui l’a fréquenté dès les années 80 lorsqu’il était directeur de cabinet du président de la Commission européenne, Jacques Delors. Il a toujours été proche des leaders européens, notamment allemands et français."
"De mauvais souvenirs en Allemagne"
En 2010, l’homme d’affaires rachète les magasins allemands Karstadt, au bord de la faillite, pour un euro symbolique. L’opération vire au fiasco. "Berggruen a sous-estimé les investissements nécessaires pour redresser l’entreprise, analyse Christian Schubert, correspondant à Paris du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il a fait beaucoup de promesses qu’il n’a pas tenues. Les effectifs ont été réduits. Tout ça a laissé de mauvais souvenirs."
"Je ne me suis sans doute pas assez occupé de cet investissement, à l’époque, rétorque Nicolas Berggruen. Mais c’est devenu politique très rapidement. La seule manière pour Karstadt de survivre était d’être fusionnée avec son principal concurrent. Quand j’ai compris que je ne pourrai pas le faire à cause des critiques contre moi, j’ai revendu Karstadt qui a ensuite été fusionnée. Nous avons conservé la plupart des employés et des magasins. Si la société existe encore, c’est grâce à nous."
Économie de marché et unification européenne
Depuis 2010, Nicolas Berggruen veut "changer le monde" avec des "idées", affirme le site internet de son institut.
L’Institut Berggruen s’organise autour de plusieurs cercles : il y a d’abord un groupe américain chargé de travailler sur "la gouvernance californienne" où l’on retrouve notamment l’ancien PDG de Google Eric Schmidt ou l’ex-secrétaire d’État de l’administration Bush, Condolezza Rice. "La Californie est un bon laboratoire pour rénover la démocratie", estime Nicolas Berggruen dans un entretien au Nouvel Économiste (lecture réservé aux abonnés).
Il y a ensuite un deuxième cercle consacré à l’Europe : un groupe baptisé Conseil pour le futur de l’Europe dans lequel on retrouve quasiment tous les anciens responsables européens de la famille conservatrice ou "sociale-démocrate", à la manière de l’anglais Tony Blair. Y figurent notamment le français Jacques Delors, l’italien Mario Monti, le belge Guy Verhofstadt, l’allemand Gerhardt Schröder, l’espagnol Felipe González ou le suédois Carl Bildt.
Les réunions de ce Conseil pour le futur de l’Europe se tiennent le plus souvent à Londres, Paris, Rome ou Berlin.
Certains économistes font également partie de ce conseil comme Jean Pisani-Ferry, un proche d’Emmanuel Macron. Ou l’américain Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, l’une des rares personnalités keynésiennes présente au sein de l’Institut Berggruen.
"C’est un institut attaché à l’économie de marché et à la démocratie libérale destiné à promouvoir l’unification européenne, résume Alain Minc, membre des différents comités Berggruen. Mais il ne faut pas surestimer l’influence du Conseil pour le futur de l’Europe. On se réunit une ou deux fois par an, Berggruen plaide les idées qui sortent de son institut auprès des responsables politiques… Ça ne casse pas une patte à un canard !"
Un colloque "made in Berggruen"
L’influence de l’Institut Berggruen n’est pourtant pas négligeable.
Ainsi, le 28 mai 2013, l’institut organise un colloque intitulé "Europe : les prochaines étapes", à Sciences Po Paris, qui réunit de nombreux responsables européens, avec un discours de conclusion de Nicolas Berggruen.
Plusieurs ministres du gouvernement de Jean-Marc Ayrault sont présents, comme le ministre du Travail Michel Sapin ou le ministre des Finances Pierre Moscovici, mais aussi un ancien Premier ministre, François Fillon, le président du Parlement européen, Martin Schulz, des ministres allemands comme le ministre des Finances, Wolfgang Schaüble, ou Ursula von der Leyen, la future présidente de la Commission européenne, alors ministre du Travail.
Le président de la République, François Hollande est également là. Dans son discours, le chef de l’État remercie Nicolas Berggruen "pour le dévouement qui est le sien et [sa] capacité exceptionnelle de rassembler autant de personnalités".
"On doit beaucoup à Sylvie"
Sylvie Goulard, alors députée européenne, fait également partie des intervenants. Cinq mois plus tard, elle sera embauchée comme "consultante pour la promotion de l’idée européenne" par l’Institut Berggruen.
"J’ai rencontré Nicolas Berggruen et son équipe pour la première fois lors d’une conférence "Town hall" de l’Institut Berggruen organisé à Paris, en mai 2013, qui rassemblait de nombreux ministres et responsables gouvernementaux européens, explique Sylvie Goulard dans un document écrit de 62 pages remis aux députés européen. Ces contacts ont été noués avant ma période de consultance pour l’Institut Berggruen."
"C’est Mario Monti [l’ancien commissaire européen à la concurrence, NDR] qui nous a suggéré de travailler avec Sylvie [Goulard], explique Nicolas Berggruen à la cellule investigation de Radio France. Nous avons suivi son conseil. Elle nous a aidé à organiser des conférences, à comprendre ce qui se passait, à travailler sur des solutions. On lui doit beaucoup."
"Le pouvoir sans les emmerdements"
L’Institut Berggruen compte une autre structure baptisée Conseil du 21e siècle, qui se réunit une fois par an à New York. On y retrouve de nombreuses figures déjà présentes au sein du Conseil pour le futur de l’Europe, avec d’autres personnalités politiques ou du monde des affaires telles que l’ancien chef de l’État Nicolas Sarkozy, le réalisateur américain James Cameron, le patron de Space X et de Tesla, Elon Musk, le PDG de Free, Xavier Niel, ou l’ancien directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce, Pascal Lamy. La plupart de ces noms figurent également au conseil d’administration du WorldPost, une publication financée par Nicolas Berggruen.
"Nos discussions sont très libres parce qu’elles sont confidentielles, témoigne Pascal Lamy. On évoque des grands sujets comme la technologie, l’avenir de l’intelligence artificielle, la biotechnologie, les États-Unis, la Chine et l’Afrique. Ça sert évidemment à influencer les choses, étant entendu que le pouvoir c’est l’influence plus les emmerdements, et que l’influence c’est le pouvoir sans les emmerdements."
Les intervenants sont-ils rémunérés ? "Nous ne percevons aucun honoraire, répond Alain Minc. L’Institut Beggruen offre le billet d’avion en classe affaires, si vous voulez voyager au-dessus de la classe affaires, [en première classe], vous payez le supplément. Nous intervenons de manière totalement désintéressée."
En plus de ses différents cercles, l’Institut Berggruen affiche une liste de "membres et conseillers" imposante. Côté français, on y trouve l’ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali, intervenu lors du colloque à Sciences Po Paris en mai 2013 à l’invitation de "son ami" Nicolas Berggruen, l’ancien ministre de l’éducation nationale Luc Ferry, ou le philosophe Bernard-Henri Lévy.

Un soutien financier à la campagne d’Emmanuel Macron
Nicolas Berggruen n’a jamais caché sa proximité idéologique avec l’actuel chef de l’État, comme en témoigne cette tribune enthousiaste publiée après l’élection d’Emmanuel Macron sur le Huffington Post, dans laquelle Nicolas Berggruen écrit qu’"Emmanuel Macron est quelqu’un qui peut nous guider vers l’avenir", n’hésitant pas à le comparer à "Napoléon".
Interrogé par la cellule investigation de Radio France, Nicolas Berggruen explique que son soutien a également été financier, dans les limites imposées par la loi : "Avant Emmanuel Macron, je n’avais jamais soutenu financièrement un candidat à l’élection présidentielle française. J’ai fait ce qu’il était légalement possible de faire parce que je le trouvais formidable. J’ai beaucoup d’admiration pour lui. Heureusement qu’il est devenu président."
Son frère, Olivier Berggruen, un marchand d’art installé aux États-Unis, a lui aussi soutenu financièrement la campagne du candidat En marche, comme le montrent des courriels contenus dans les MacronLeaks, cette vaste fuite de documents internes à la campagne d’Emmanuel Macron diffusés juste avant le second tour de l’élection présidentielle de 2017.
Le 14 février 2017, Olivier Berggruen écrit depuis New York au président de l’association de financement de La République en marche, Christian Dargnat, directeur général de BNP Paribas de 2006 à 2016 : "Dans l’immédiat, je propose de contribuer [à hauteur de] 4 000 euros au mouvement et 4 000 euros au candidat. Vous recevrez les formulaires et les virements correspondants sous peu. Je n’ai pas besoin de reçu fiscal, n’étant pas résident français. Mon frère Nicolas transmet de Los Angeles ses amitiés à Emmanuel Macron (qu’il connait mieux que moi), et nous vous souhaitons tout le succès que vous méritez."
Quand Berggruen voulait conquérir Le Monde
Comment s’est noué cette "amitié" entre Nicolas Berggruen et Emmanuel Macron ?
Pour le comprendre, il faut remonter à l’époque où Emmanuel Macron travaillait pour la banque Rothschild entre 2008 et 2012. C’est à ce moment-là que Nicolas Berggruen rencontre Emmanuel Macron pour la première fois, comme nous l’a confirmé lui-même l’homme d’affaires.
À l’époque, le groupe de presse espagnol Prisa cherche à prendre le contrôle du journal Le Monde. Nicolas Berggruen est alors administrateur de Prisa aux côtés d’Alain Minc. "J’avais fait embaucher Macron comme banquier de Prisa, raconte Alain Minc. Macron intervenait au conseil d’administration de Prisa sur la restructuration financière du groupe. Berggruen était l’un des administrateurs de Prisa et donc il l’a connu comme ça."
"Nicolas Berggruen a rencontré M. Macron lorsqu’il travaillait chez Rothschild, parce que Prisa était un client de Rothschild & Co", nous confirme par mail l’institut Berggruen.

"Nicolas Berggruen vendait ses idées" à l’Élysée
La relation entre les deux hommes ne s’arrête pas là.
Elle se poursuit lorsqu’Emmanuel Macron est nommé secrétaire général-adjoint de l’Élysée, en 2012, après l’élection de François Hollande. "J’ai envoyé Berggruen voir Macron parce que je trouvais bien qu’il puisse exposer ce qu’il faisait à quelqu’un d’ouvert d’esprit, c’est aussi simple que ça, explique Alain Minc. Berggruen dialoguait avec tous les pouvoirs, il fallait donc qu’il dialogue avec la France de l’époque. Or, dans l’entourage de François Hollande, je considérais que la personne la plus à même d’entendre, de comprendre, d’être "en phase" [avec lui], c’était Macron. Nicolas Berggruen vendait ses idées et l’action de son institut de la même manière qu’il le faisait au 10 Downing Street à Londres (résidence du Premier ministre britannique, ndlr) ou à la chancellerie allemande, à Berlin. Ni plus, ni moins."
On trouve le nom d’Emmanuel Macron comme “modérateur” d’un débat sur “le climat des affaires” en Europe, introduit par Alain Minc, lors du colloque intitulé "Europe : les prochaines étapes", organisé par l’institut Berggruen le 28 mai 2013 à Sciences Po Paris.
"Lorsqu’il est secrétaire général adjoint de l’Élysée, Emmanuel Macron s’occupe notamment des dossiers économiques, décrypte Marc Endeweld, auteur de deux livres-enquêtes sur l’actuel chef de l’État, L'ambigu Monsieur Macron (Flammarion, 2015 ; Points, 2018) et Le grand manipulateur (Stock, 2019).

"À l’époque, il représente la principale porte d’entrée des milieux d’affaires et du CAC 40. Emmanuel Macron apparait donc comme l’homme à courtiser pour faire passer des messages. Mais ça ne s’arrête pas là. Emmanuel Macron prépare déjà activement sa propre ambition politique. Il multiplie des rencontres entre communicants et grands patrons à l’Élysée, dans le dos du président de la République. Les milieux d’affaires s’intéressent grandement à lui. Ces rencontres se déroulent souvent le week-end, à l’abri des regards. C’est donc dans ce cadre que s’inscrit sa rencontre avec Nicolas Berggruen. C’est tout un environnement qui se met alors en place."
Le 24 avril 2018, à l’occasion d’une visite d’État d’Emmanuel Macron aux États-Unis, Nicolas Berggruen a tweeté un selfie en compagnie du Président français, avec ce commentaire : "Vive Macron!"
Vive la France, vive Europe, vive liberty and courage - vive Macron! @EmmanuelMacronpic.twitter.com/J3IhGEpgBp
— Nicolas Berggruen (@NBerggruen) April 25, 2018
Redorer son blason grâce au "philanthrocapitalisme"
Nicolas Berggruen n’est pas seulement un homme d’affaires qui veut peser sur la marche du monde. Il se présente également comme un "philanthrope".
En 2010, l’homme d’affaires rejoint une campagne lancée par le milliardaire Warren Buffet et Bill Gates afin d’encourager les grosses fortunes à donner leur argent pour des actions philanthropiques : "The Giving pledge" ("Promesse de dons").
Au sein de The Giving Pledge, on retrouve également le nom du financier Michael Milken, dont l’institut (The Milken Institute) organisait en mai 2019 un débat dans un grand hôtel de Beverly Hills sur le thème : comment "réformer le capitalisme" pour éviter "la révolution" ou "le socialisme" ? Un "Davos californien" en marge duquel Nicolas Berggruen a organisé une soirée en l’honneur du patron du réseau social Snapchat, Evan Spiegel.
Interrogé sur le rôle exact joué par son trust dédié aux actions "charitables", la porte-parole de l’Institut Berggruen nous fait la réponse suivante : "Le charitable trust de Nicolas Berggruen finance de nombreuses activités éducatives et culturelles, comme le musée Berggruen à Berlin [un musée qui rassemble la collection privée de tableaux léguée par le père de l’homme d’affaires, Heinz Berggruen, NDR]. Il facilite et renforce l’engagement de Nicolas Berggruen dans The Giving Pledge. L’essentiel des investissements de Berggruen sont reversés à des œuvres caritatives. Nicolas Berggruen est membre de longue date du Giving Pledge qui incite les personnes fortunées à faire don de plus de la moitié de leurs actifs à des œuvres philanthropiques ou caritatives de leur vivant, ou dans leur testament."
"Le point commun des membres du Giving Pledge, c’est de ne surtout pas remettre en question un système qui a conduit 1% de la population mondiale dont ils font partie à posséder la moitié des richesses, estime pour sa part Lionel Astruc, auteur d’un livre-enquête sur la fondation Bill et Melinda Gates. En créant, avec Warren Buffet, The Givin Pledge, Bill Gates met à leur disposition un outil de communication qui leur donne l’image de grands donateurs à travers ce qu’on appelle le philanthrocapitalisme. Ces riches philanthropes confortent ainsi leur position et leur idéologie."
Ce "philanthrocapitalisme" va de pair avec un recours fréquent aux paradis fiscaux.
Selon les documents consultés par la cellule investigation de Radio France, de nombreuses sociétés utilisées par Nicolas Berggruen dans ses affaires et dans le cadre de son institut sont domiciliées dans des places offshores. L’Institut Berggruen est domicilié aux Bermudes, tout comme son charitable trust.

Des structures dans les paradis fiscaux
Au sommet de la pyramide des différents investissements de Nicolas Berggruen se trouve une holding, Berggruen Holdings, enregistrée aux Îles Vierges britanniques, comme le relève en 2010 Le Journal du dimanche et en 2016 le New York Times.
La société baptisée Institut Berggruen est, elle, enregistrée dans un autre paradis fiscal, aux Bermudes, tout comme son trust "charitable".
Interrogé sur ce choix, le 15 novembre 2019, lors d’un entretien par téléphone depuis ses bureaux de Los Angeles, Nicolas Berggruen nous a répondu : "Ça a été créé comme ça il y a quarante ans, donc ça n’a pas changé. Il y a une société qui est aux Bermudes, d’autres qui sont aux États-Unis. Les investissements doivent être effectués de manière productive, il y aura des changements avec le temps. Dans mon cas, la plupart [de ces investissements sont effectués] de manière caritative. Beaucoup d’instituts caritatifs sont aux Bermudes, c’est un endroit qui existe depuis longtemps pour tout ce qui est fondation, c’est pour ça qu’elle a été créée là. Ce sont des avocats qui effectuent ce travail, c’est eux qui nous guident. Nous les écoutons."
Relancé par mail sur le fait d’avoir recours aux Îles Vierges britanniques et aux Bermudes, l’Institut Berggruen précise :
"L’Institut Berggruen, bien que basé en Californie et travaillant dans le monde entier, est une fondation privée exemptée d’impôts, enregistrée aux États-Unis en tant qu’organisation à but non lucratif couvrant le domaine éducatif et culturel. L’Institut fournit des déclarations de revenus consultables publiquement, connues aux États-Unis sous le nom de "formulaire 990". Etant donné que l’institut travaille dans le monde entier, la partie américaine de l’institut reçoit ses fonds via une fondation, également appelée Institut Berggruen, basée aux Bermudes. Les investissements qui financent l’institut concernent le monde entier, y compris en Europe, aux États-Unis et en Asie. Les Bermudes et les autres juridictions que vous avez mentionnées ont été choisies parce que leurs lois autorisent l’utilisation de véhicules de distribution et d’investissements philanthropiques souples et pratiques. Il s’agit d’une pratique courante pour de nombreux investisseurs internationaux comparables. Pour les mêmes raisons, d’autres œuvres de charité très connues s’installent aux Bermudes. L’Institut Berggruen se conforme aux lois de tous les pays où il opère. Certaines de ces lois ont récemment changé à la demande de l’Union européenne et des États-Unis."

Paradise Papers
Selon les données fournies par les Paradise Papers, en 2009, l’une des sociétés de Nicolas Berggruen, Liberty Acquisition Holdings International Company (LAHIC), était enregistrée aux îles Caïmans.
Une autre société, Liberty Acquisition Holdings, liée à Nicolas Berggruen a été immatriculée en 2007 au Delaware, un paradis fiscal qui attire de nombreuses multinationales. Cette entité a été absorbée par une autre structure en Virginie en 2010.
"Notre implication dans les sociétés mentionnées dans les Paradise Papers se limitait au rôle d’un investisseur passif, peu important, aux côtés de personnalités très respectées, nous répond par mail l’Institut Berggruen. Ces investissements sont en sommeil depuis de nombreuses années."
Un patrimoine immobilier qui passe par le Luxembourg et les Bermudes
Selon les documents consultés par la cellule investigation de Radio France, des sociétés immobilières en France sont liées à la galaxie financière de Nicolas Berggruen. Même dans la gestion de ce patrimoine en France, l'homme d'affaires privilégie un montage passant par le Luxembourg et les Bermudes.
Ainsi, ses entités en France sont détenues par une holding de droit luxembourgeois, Berggruen France Properties Sarl, créée en octobre 2017 et elle-même contrôlée par la société Berggruen Institute aux Bermudes.
"Je passe très peu de temps [sur ce sujet], nous répond Nicolas Berggruen. La holding est gérée par des gens dont c’est le métier et qui font les investissements. J’espère qu’ils sont conseillés au mieux, c’est tout."
"Rien n’est illégal dans ces montages, commente le spécialiste des paradis fiscaux, Eric Vernier. C’est une logique qui consiste dans le fait de payer le moins d’impôts possible, y compris là où on est implanté. Il y a une dissonance entre le fait de réfléchir à un monde meilleur et de s’installer dans des endroits délétères pour l’économie et l’équilibre mondial."
Lorsqu’on demande à Nicolas Berggruen s’il ne voit pas de contradiction entre le fait d’utiliser toutes ces places offshores et son discours public sur la critique et la rénovation du capitalisme, la réponse fuse : "Quelle serait votre proposition ? Quelle est l’alternative ?"