Pour les peuples autochtones, la souveraineté juridique constitue un premier pas vers la souveraineté pure. Quels sont les grands principes de la justice réparatrice ? Comment la justice communautaire s’articule-t-elle avec les juridictions étatiques au Canada, aux Etats-Unis et en Amérique latine ?
Le 20 novembre dernier, les autorités canadiennes ont annoncé allouer d’importantes ressources financières au programme de justice réparatrice atikamekw.
Cette nation amérindienne dispose en effet de sa propre justice communautaire, fondée sur des principes de conciliation et de réparation.
La reconnaissance de ce droit autochtone s’inscrit dans un mouvement plus large, actuellement à l’œuvre au Canada, de réconciliation nationale entre l’Etat et les Premières Nations.
La justice réparatrice est ainsi mise au service d’un processus de justice transitionnelle, à laquelle ses principes de réconciliation se prêtent particulièrement.
D’autres exemples de justice communautaire existent sur le continent américain, et peuvent être reconnus à différents degrés par les Etats.
D’autres exemples de justice communautaire existent sur le continent américain, et peuvent être reconnus à différents degrés par les Etats. C’est notamment le cas au Mexique, ainsi qu’aux Etats-Unis, en particulier au sein de la Nation Navajo, plus grande réserve amérindienne, où les justices des tribunaux tribaux côtoient le peacemaking traditionnel de cette tribu.
Une souveraineté juridique qui constitue un premier pas vers la souveraineté tout court, comme l’expérimentent également les autochtones amazoniens et andins d’Equateur.
Quels sont les grands principes de la justice réparatrice ? Qu’apporte-t-elle de plus que la justice « ordinaire » à la résolution des conflits entre les individus, mais également entre les communautés, voire entre les autochtones et l’Etat ?
Comment la justice communautaire s’articule-t-elle avec les juridictions étatiques au Canada, aux Etats-Unis et en Amérique latine ?
Une émission en compagnie de Irène Bellier, directrice de recherche en anthropologie au CNRS, ancienne directrice du Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (LAIOS) et Barbara Truffin, directrice du Centre d’histoire du droit et d’anthropologie juridique de l’Université Libre de Bruxelles.
Au Guatemala, plus de la moitié de la population est autochtone, avec des groupes mayas très différenciés les uns des autres et pas plus de 10% de la population autochtone a accès à la justice. Irène Bellier
Il a fallu que les États réalisent que les autochtones n’ont pas seulement des uses et des coutumes mais des systèmes, avec des autorités, des lois, de la référence. Irène Bellier
Au sein même des dynamiques autochtones et indigènes, il y a une réappropriation de ce discours, des droits fondamentaux mais à partir aussi leurs propres codes, leur propre langage qui est difficilement compatible avec ce discours très formalisé. Barbara Truffin
Seconde partie - focus du jour
Le peacemaking navajo, une justice réparatrice qui fait ses preuves
Plus grande réserve amérindienne des Etats-Unis, la Nation Navajo, à cheval sur l’Arizona, l’Utah et le Nouveau-Mexique, constitue une sorte d’Etat dans l’Etat, avec son propre système judiciaire.
La justice des tribunaux tribaux y est globalement calquée sur la justice ordinaire américaine, mais elle s’accompagne d’un autre processus de résolution des conflits, le peacemaking.
Si les deux parties y sont favorables, ce processus de médiation et de conciliation, qui correspond aux critères de la justice réparatrice, peut être mobilisé pour tous les litiges relevant du tribunal tribal.
Comment le peacemaking s’articule-t-il avec la justice ordinaire ? Dans quelle mesure sa promotion participe-t-elle d’une volonté de souveraineté des Navajo ? Cette promotion dépasse-t-elle le cadre de la justice amérindienne ?
Conversation avec Marine Bobin, docteure en anthropologie sociale du Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires de l’Université Toulouse II
Si on prend les statistiques, le peacemaking règle très peu de cas. 2,5% des cas présentés devant la justice navajo sont réglés par le peacemaking. La plupart des autres cas sont réglés dans des tribunaux tribaux, calqués sur les tribunaux états-uniens. Marine Bobin
Références sonores
- Lucie R. Painchaud, organisatrice de Forum de réconciliation communautaire explique le sens de la justice réparatrice lors du Forum de réconciliation communautaire qui s’est tenu les 31 mai et 1er juin 2019 (Webtélé ECDQ, 21 juin 2019)
- Une intervenante en justice réparatrice canadienne explique comment se conclut le processus dans le contexte d’un cercle de guérison d’une Première Nation (Ministère de la Justice canadienne, 08 décembre 2016)
- Roxane Mianscum-Lizotte, étudiante en technique policière, explique le sens de son engagement pour le peuple autochtone dont elle est issue (Radio Canada Information, 08 février 2017)
- Robert Yazzie, professeur dans le Law Advocate Program au sein de la Navajo Technical University, relate une anecdote liée à sa conception formelle de juge (Native American Rights Fund, 14 juin 2017)
Références musicales
- « Jacquard causeway » de Boards of Canada (Label : Warp)
- « Silversmith’s song », un chant traditionnel navajo (Label : Folksways records)
- « Mote Mote » de Laura Niquay, artiste Atikamekw de la communauté autochtone de Wemotaci (Compositeurs : Laura Niquay, Moe Clark, Quinn Bonnell / Interprètes : Laura Niquay & Moe Clark / Label : Musique Nomade & Menuentakuan)
Une émission préparée par Margaux Leridon
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Chroniques
- Anthropologue, directrice de Recherches au CNRS - IIAC/LAIOS
- Directrice du Centre d’histoire du droit et d’anthropologie juridique de l’Université Libre de Bruxelles
- Docteure en anthropologie sociale du Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires de l’Université Toulouse II