L'Amérique latine, avec Mario Vargas Llosa
Le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa voit son œuvre romanesque publiée dans la bibliothèque de la Pléiade. Il est l'invité exceptionnel de L'Esprit public pour une émission sur l'Amérique latine, ses livres et son rapport à la France.

Mario Vargas Llosa quoique vous ayez été pensionnaire dans un collège militaire que vous décrivez dans votre premier roman, « La Ville et les chiens » et bien que vous parliez très bien notre langue pour avoir vécu à Paris, vous ignorez peut-être l’expression « avoir du rab », fort en usage dans les internats et les casernes. Le rab, ou rabiot, c’est le surplus de nourriture et de boisson que l’on espère à la cantine, c’est aussi le temps de consigne supplémentaire qui échoit à un interne ou à un soldat. Après le prix Nobel de littérature, vous venez, avec l’entrée de votre œuvre romanesque dans la Bibliothèque de la Pléiade, de toucher du rab de reconnaissance, dans les deux sens du mot : prendre la mesure de votre œuvre et vous en remercier.
Cette œuvre est aussi celle d’un dramaturge, (votre théâtre complet est publié par Gallimard), et d’un essayiste, (on lira avec profit votre recueil, « De Sabre et d’utopies »), et celle d’un publiciste, qui donne régulièrement une chronique au quotidien espagnol « El Pais ». Vous avez également publié un « Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine », sous-continent avec qui vous ne craignez pas de pratiquer l’amour vache et dont vous avez maintes fois déploré que l’Europe et les Etats-Unis ne se privent pas de jeter sur lui un regard que vous qualifiez de raciste.
Vous l’aviez fait en bataillant contre Gunther Grass en 1983, alors que le romancier allemand avait déclaré que « les pays latino-américains ne résoudraient pas leurs problèmes tant qu’ils ne suivraient pas l’exemple de Cuba ». Vous reprochiez à cet écrivain qui se comportait chez lui en démocrate conséquent de souffrir d’une forme de schizophrénie qui le conduisait à trouver bonnes pour vos compatriotes des formes de gouvernement qui lui feraient horreur si elles devaient sévir en Allemagne. Et vous concluiez votre article par ces lignes : « Nous, les Latino-Américains, qui croyons que la solution à nos problèmes consiste à briser le cercle sinistre des dictatures – qu’elles soient de droite ou de gauche -, nous devons savoir que, parmi les obstacles que nous devons affronter pour défendre la démocratie figure, en même temps que les complots des cases réactionnaires et les insurrections révolutionnaires, l’incompréhension, pour ne pas dire le mépris, de ceux que nous tenons pour nos modèles et que nous croyons être nos alliés ».
Il y a quelques semaines, vous rappeliez cet article de 1983 dans un éditorial pour El Pais, dans lequel vous faisiez défiler les impostures du président bolivien Evo Morales et vous dénonciez la complaisance « en dernière instance discriminatoire et raciste, particulièrement en Europe, qui a entouré le prétendu « premier indigène à être devenu président de la Bolivie, l’un des nombreux mensonges que propage sa biographie officielle lors de toutes ses tournées internationales ».
Quelques temps auparavant, vous ridiculisiez l’acteur Sean Penn et son interview enamouré d’El Chapo, assassin aux 3.000 victimes et violeur récidiviste et impénitent et vous écriviez « le cas de Sean Penn ne se comprend que par l’extraordinaire frivolité qui contamine la vie politique de notre époque, dans laquelle les images ont remplacé les idées et la publicité détermine les valeurs et les non-valeurs qui mettent les citoyens en mouvement. »Vous publiez d’ailleurs chez Gallimard « La Civilisation du spectacle » dans lequel vous développez cette critique de la frivolité.
Nous verrons si le cours de notre conversation nous conduit à revenir sur cette critique, mais je voudrais d’abord m’en tenir aux deux thèmes que j’ai évoqués, celui du regard que portent Européens et Etatsuniens sur l’Amérique latine et celui de cet idiot utile qui faisait écrire à George Orwell : « Vous devez faire partie de l’intelligentsia pour croire une telle chose, nul homme ordinaire ne saurait être aussi stupide ».

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- journaliste et écrivain français
- diplomate
- Député Modem des Hauts de Seine, vice-président de la commission des affaires européennes et ancien député européen, essayiste