L’humain est-il augmentable ?
De quoi l’homme peut-il s’émanciper ? Dans quelle mesure peut-il être augmenté ? Par les temps qui courent, avons-nous besoin de davantage de technologies ou de davantage de courage ?

Nul besoin d’être entré ou sorti major de Polytechnique pour percevoir que le renouvellement des technologies bouleverse l’économie, les relations sociales, nos représentations du monde, et aussi notre façon de nous envisager nous-mêmes.
Si l’on avait posé à un homme du Moyen Âge la question : « Un être qui fait Paris-Marseille en trois heures est-il encore un homme ? », il aurait répondu : « Non, c’est un oiseau particulièrement véloce ou un ange, mais ce n’est pas un homme. » L’augmentation des vitesses de transport, pour ne prendre que ce seul exemple, a donc permis un double déplacement, un déplacement dans l’espace bien sûr, mais aussi un déplacement d’ordre ontologique, comme si la rapidité de notre locomotion avait modifié les contours de notre nature. D’une façon générale, la technique n’est jamais extérieure à la vie humaine. Elle y insère ses normes, les compose, et ainsi nous reconfigure : qui pourrait faire vivre côte à côte, afin de les comparer, un homme de 1918 et un autre de 2018 frôlerait déjà la tentation d’y distinguer deux espèces différentes.
Mais ne s’agit-il que d’un début ? D’aucuns nous annoncent des perspectives technologiques si mirobolantes qu’elles ouvrent au « transhumanisme ». Par sa seule évocation, ce nouvel horizon qu’ils annoncent nous oblige à poser des questions comme : comment bien vivre ensemble dans un monde profondément modifié par la technique, comme arraché à la nature ? Voulons-nous demeurer dans la condition humaine, avec les caractères que la nature semble lui avoir fixés ? Ou avons-nous envie de transgresser ses limites actuelles, de lui échapper autant que faire se peut, engendrer à n’importe quel âge, résister à tous les virus, vivre « éternellement » jeunes, avec des capacités cérébrales augmentées grâce à l’implantation de toutes sortes d’artefacts dans le cerveau ?
Bref, ce transhumanisme dont on nous parle est-il l’aboutissement de l’humanisme ou s’en démarque-t-il en ne ressemblant plus qu’à une assez triste « ingénierie du Paradis » ?
Dans son fameux discours de Harvard, prononcé le 8 juin 1978 et intitulé Le Déclin du courage, Alexandre Soljenitsyne expliquait que l’humanisme rationaliste des Lumières est en fait une « autonomie humaniste » qui proclame et réalise l’autonomie humaine par rapport à toute force placée au-dessus de lui : Dieu, la nature, la tradition. La philosophie des Lumières serait en quelque sorte un anthropocentrisme, qui réclame que l’idée de l’homme soit posée au centre, sinon de ce qui existe, du moins de ce qui doit être pensé comme ayant une valeur suprême. L’homme moderne prétend pouvoir se suffire à lui-même, s’auto-créer, forger par soi seul les normes de son existence.
Mais de quoi l’homme peut-il s’émanciper ? Dans quelle mesure peut-il être augmenté ? Par les temps qui courent, avons-nous besoin de davantage de technologies ou de davantage de courage ?

Notre invité : Olivier Rey, mathématicien et philosophe, auteur de Leurre et malheur du transhumanisme (Desclée de Brouwer, 2018).
Bibliographie
Leurre et malheur du transhumanismeOlivier ReyDesclée de Brouwer, 2018
Après la chuteOlivier ReyPierre-Guillaume de Roux, 2014
Quand le monde s'est fait nombreOlivier ReyStock, 2016
Une question de tailleOlivier ReyStock, 2014
- ingénieur de recherche à l'ENS de Lyon, responsable de l’unité de veille scientifique et chargé de mission Expertises à l’Institut français de l’Éducation (IFÉ)

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