Les sciences du cerveau ont connu des progrès considérables ces dernières années, notamment grâce aux progrès de l'imagerie cérébrale. « Les neurosciences », ainsi qu'on les nomme, sont en passe d'offrir des explications qu'on jugeait réservées jusqu'à présent à la psychologie, à la psychanalyse, à la phénoménologie - voire à la métaphysique. Ainsi l'esprit devient-il leur affaire, comme le proclamait déjà Jean-Pierre Changeux dans L'Homme-neuronal en 1983. Le programme d'une « naturalisation » de l'esprit qui définit les sciences cognitives s'inscrit désormais dans l'objectif des neurosciences et met au défi les philosophes de critiquer les prétentions réductionnistes qui le caractérisent. En particulier, l'impact éthique de ce programme suscite l'interrogation : à supposer qu'on résolve le fameux « mind-body problem », qu'en sera-t-il de la responsabilité à laquelle s'attache tout comportement moral ? A supposer que le lobe frontal joue le rôle qu'on lui accorde chez les neurobiologistes, qu'en sera-t-il du libre-arbitre ? Et ces neurones-miroir qui prétendent expliquer les comportements empathiques au fondement de l'éthique, comment ne pas imaginer qu'ils restreignent encore un peu plus la marge d'initiative des agents moraux ? Les neurosciences sont spontanément néo-darwiniennes, ce qui facilite la réduction pour elles du normatif moral au descriptif scientifique (ferment du scientisme) et les conduit à soutenir la prétention d'identifier les fondements naturels de l'éthique. On s'étonne à peine désormais qu'elles puissent s'attacher à expliquer les croyances religieuses ou les expériences mystiques (cf. Le Monde des 3-4 septembre 2006). Rien n'est plus urgent que d'engager le questionnement sur les conséquences éthiques d'une extension illimitée des ambitions explicatives des neurosciences. Une récente conférence-citoyen organisée à l'échelle de l'Europe a livré en janvier 2006, 37 recommandations sur les sciences du cerveau qui manifestent le degré de la prise de conscience de l'importance du problème.