Comment filmer la pensée ?
A partir du film Notre monde de Thomas Lacoste (sortie en salles 13 mars).
Avec :
François CUSSET
Jean-Louis COMOLLI
Mathieu POTTE BONNEVILLE
François Cusset : « On doit à Thomas Lacoste des films militants importants sur le combat de l’université, sur la recherche, sur la justice, sur la campagne de 2007. Il faut aller voir ce film parce qu’il y a d’abord l’injonction qui est « Faites de la politique », une injonction qu’on n’entend plus assez aujourd’hui. […] On a surtout des morceaux de bravoure : le grain d’une voix, l’élan d’une conscience, etc. […] Et pourtant, ce film militant et qu’on devrait tous aller voir pose deux problèmes majeurs. Le premier (qui me gêne le plus) est sa foi un peu naïve dans le pouvoir de la pensée, dans l’espèce de magie de l’intellectuel oracle. C’est une croyance que le film met en scène avec lyrisme. Cette croyance est un peu scolaire et elle risque de contredire au fond le message d’égalité. […] Moi j’y entends le monopole de l’intellectuel. […] Attention à l’académisme, à l’idéalisme, attention au côté un peu scolaire ou moralisant. […] Le deuxième problème […], c’est la technique de ce film, sa mise en scène un peu didactique, son montage absolument omniscient […]. C’est un objet classique. Or, le problème d’un objet classique filmique est qu’il fait de la pensée beaucoup moins un événement (quelque chose qui a lieu devant nous) qu’une leçon assez professorale. »
Jean-Louis Comolli : « Je suis d’accord avec pratiquement tout ce qui est dit dans le film. […] La seule question que je me pose c’est : qu’en est-il de l’écoute de la pensée ? […] Ce film est malheureusement un peu ennuyeux. […] La place du spectateur n’a pas été pensée comme celle de celui qui devait entendre ces pensées à travers des mots et qui devait éventuellement s’en émouvoir ou s’en alarmer. Il manque, ce qu’on appelle bêtement, une sensibilité, une émotion, une empathie ou une antipathie (qui n’est pas pensée par le film). Tout se passe comme si énoncer sa pensée était une chose simple et facile, et comme si l’entendre était une chose qui allait de soi, […] alors que filmer la parole ne va pas de soi (il ne suffit pas que les choses soient dites pour qu’elles soient filmées), et filmer l’écoute ne va pas de soi non plus (une parole sans écoute est une parole qui malheureusement tourne sur elle-même, à vide). Et d’une certaine façon, on a le sentiment à de nombreuses reprises que ces grands intellectuels, ces grands spécialistes, parlent à eux-mêmes. »
Mathieu Potte Bonneville : « Je crois qu’il ne faut pas extraire ou abstraire le film de ses usages. Ce film est conçu pour donner lieu à des débats, pour être projeté dans des contextes où il soit possible d’en parler ensuite. […] Mais je crois que le film hésite profondément entre deux registres : 1) celui de la boîte à outils (recenser, compiler un certain nombre de concepts, d’analyses, de propositions, dans une perspective assez pragmatique) 2) donner une forme de solennité (la mise en scène, la musique pour moi, ce film pose un problème fondamental de violoncelle par exemple ou d’obscurité). […] Or, c’est pas seulement le problème du film, c’est tout autant la question que pose le contenu des discours qui y sont produits, parce qu’au fond ce dont on s’aperçoit en écoutant ce que disent les intervenants de ce film, c’est qu’il y a deux registres d’intervention : 1) un registre calé du côté des propositions (analyse experte ou spécifique) 2) et puis, des interventions beaucoup plus vastes, du côté de l’horizon (produire une forme d’horizon général de notre temps, une certaine forme de lyrisme). Et le film hésite entre la boîte à outils et la solennité parce que les discours qui s’y tiennent hésitent entre des propositions spécifiques (politiques) concrètes et un horizon politique. Or, faire communiquer ces deux plans-là n’est pas le problème du film mais le problème de la critique aujourd’hui. »
Sons diffusés :
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Extrait de la bande-annonce du film.
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Extrait du film.
Le film « Notre Monde » le lundi 25 mars à Paris : l'Espace Saint michel à 19h30 en présence de Michel Butel et Thomas Lacoste.
PARIS : Mk2 Beaubourg
BORDEAUX : Utopia
TOULOUSE : Utopia
AVIGNON : Utopia
ORLEANS : Cinéma Les Carmes
STRASBOURG : Le Star
NANTES : Le Concorde
GRENOBLE : Le Méliès
LYON : Comoedia
MONTPELLIER : Le Diagonal
LILLE : Majestic
ROUEN : Cinéma Omnia
VALENCE : Le Lux
Dates pour chaque ville à la rubrique RDV du site web.
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Pour accéder à la deuxième partie de La Grande Table du 25.03.2013 intitulée « Grand entretien avec Sonia WIEDER ATHERTON », cliquez ici.
- Philosophe, spécialiste de Michel Foucault
- cinéaste et critique
- Historien des idées, professeur de civilisation américaine à l’Université de Paris Nanterre