Dans l'étude de l'institut Montaigne sur les musulmans, chaque parti voit ce qu'il veut voir.
Peut-être avez-vous vu cette étude de l’Institut Montaigne sur les musulmans de France, dont une synthèse est parue hier dans le Journal du Dimanche... C'est une étude qui s’intéresse au degré de pratique religieuse des musulmans, à leur rapport avec les institutions républicaines, à la représentativité des institutions religieuses. Ce rapport de 133 pages, réalisée par le normalien, géographe, Hakim El Karoui (qui fut aussi la plume de Jean-Pierre Raffarin), s'appuie sur un sondage de l’Institut IFOP.
Dans son introduction, l’auteur affirme vouloir documenter une réalité qui génère beaucoup de fantasmes : « on ne peut se satisfaire des sempiternelles polémiques sur l’inscription des signes d’appartenance islamique dans l’espace public, - le burkini étant le dernier exemple - comme seules réponses politiques au djihadisme et au fondamentalisme ». Bien sûr, on objectera que l’institut Montaigne est un think tank d’inspiration libérale. Il y a aussi l’éternel biais des enquêtes d'opinion : en l’espèce, ce sondage a été réalisé sur une base de 15 000 personnes, dont un millier se dit de religion ou de culture musulmane. Ce qui entraîne, l’institut Montaigne le reconnaît, une marge d’erreur de 3%.
Mais ce qui est frappant, ce n’est pas tant la conclusion du sondage – les musulmans de France sont divers dans leur pratiques et dans leurs opinions, ce n'est pas un scoop –, c’est la manière dont cette étude est utilisée, ou non, par les différents partis politiques.
Chacun peut y voir midi à sa porte…
Oui, chaque parti chausse ses lunettes idéologiques et il y lit ce qu’il veut y lire. Par exemple, le Front National s’inquiète : il y aurait 28 % des musulmans de France qui placent les règles de l’islam au dessus de celles de la République, selon l’étude. Une catégorie qui rejette la laïcité et se dit favorable au port du voile intégral, décrite par les auteurs comme "autoritaire" et "sécessionniste". Elle représenterait même 50 % des musulmans de moins de 25 ans. « Affrontement inévitable ? » suggère Robert Ménard sur Twitter :
50 % des #musulmans de France de moins de 25 ans refusent nos valeurs (#sondage@leJDD ). L'affrontement est-il évitable?
— Robert Ménard (@RobertMenardFR) September 18, 2016
Marion Maréchal Le Pen elle, extrapole les chiffres : « 28% sur 6 millions de musulmans », s'alarme-t-elle, "cela fait 1 million et demi de personnes". Sauf qu’elle prend un chiffre de l’étude et en efface volontairement un autre. D’après l’étude, les musulmans de France (âgés de plus de 15 ans en France métropolitaine) sont en réalité 3 millions, soit deux fois moins - on va y revenir.
Mais évidemment, ces chiffres marquent les esprits ; ce sont ceux qui ont été le plus fréquemment repris hier par la presse et par les responsables politiques. Mais tout au long des 133 pages, il en est d’autres qui ont été moins relevés.
Nicolas Sarkozy pourra y voir la communautarisation qu’il dénonce dans ses discours : 8 musulmans sur 10 disent souhaiter que les cantines scolaires servent de la viande halal. Mais si 28% des personnes interrogées se placent en marge de la République, cela veut aussi dire que 72% des musulmans ne le font pas, ce sur quoi insiste Alain Juppé. Dans un billet de blog publié hier soir, le candidat de "l’identité heureuse" met en avant cette "majorité silencieuse", qu’il invite d’ailleurs à se faire entendre.
Les modérés de droite et de gauche pourront aussi trouver dans cette étude des réponses aux théoriciens du "grand remplacement par les musulmans". Selon le sondage, ceux qui se disent de religion ou de culture musulmane ne représentent qu’environ 1000 individus sur 15 000, soyons plus précis, c’est "5,6 % de la population de plus de 15 ans en métropole".
Autre donnée relevée par le rapport, qui va à contre-courant des idées reçues : le processus de sortie de la religion musulmane est plus important que le processus d’entrée : 15% des personnes dont l’un ou les deux parents sont musulmans disent ne pas être eux-même musulmans.
Ce rapport, un peu vite présenté comme illustrant les thèses du Front national, peut aussi servir à la gauche…
A condition qu’elle le lise. Pour l’instant, les responsables socialistes se sont fait très discrets. Pourtant, le PS peut voir dans ce rapport la confirmation de sa thèse : on fait beaucoup de bruit pour des cas marginaux. Plus de 9 sondés sur 10 n’ont pas de problème à être examinés par un médecin d’un autre sexe. Confirmation, aussi, aussi qu’il n’existe pas un grand bloc monolithique de musulmans de France. Les pratiques sont très diverses : 60 % d’entre eux ne vont pas ou très peu à la mosquée, 12% la fréquentent plusieurs fois par semaine.
Interrogée hier soir, l'écologiste Cécile Duflot, elle, voit dans ce sondage le fait que la grande majorité des musulmans de France vivent normalement. Et les 28% alors ? Elle croit y déceler la "provocation" de ceux "qui se sentent exclus ou rejetés".
Enfin, il y a un autre fait que la gauche pourra relever, si elle lit attentivement cette étude, et non pas les rapides synthèses qui en sont faites : c’est que cette radicalité est très fortement corrélée à la précarité, à la relégation et à l’absence de diplômes (page 26 pour ceux que ça intéresse).
Dans la campagne présidentielle qui s'annonce, voilà de quoi nuancer les prises de positions de tous ceux qui voudront voir le verre absolument vide ou le verre absolument plein. Il y a aussi ceux qui voudront ne pas regarder le verre. Et ceux qui feront une fixette sur lui. Mais ça c’est encore une autre histoire.
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