Ignorer la rumeur, et la laisser prospérer ? La démentir, au risque de la propager ? Contre-attaquer, au risque de passer pour un censeur ? Le responsable public n'a que des mauvais choix.
Il faut lire ce tweet, quasi-désespéré, d'un membre du gouvernement. Christian Eckert, secrétaire d'Etat au Budget, a posté ce tweet lundi :
"Tuons la rumeur". Christian Eckert fait allusion à un racontar qui revient depuis plusieurs mois : l'Exécutif, en mal de ressources, voudrait imposer une taxe aux propriétaires d'un logement dont l'emprunt est remboursé. Ferme démenti de Bercy, mais rien n'y fait : la rumeur, évoquée en mode interrogatif par plusieurs sites, est reprise sur le mode affirmatif sur Facebook, et se diffuse largement. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Christian Eckert tente de lui tordre le cou :
Il est très compliqué pour les responsables publics de faire face aux fausses informations. Trois (mauvais) choix s'offrent à eux : ignorer la rumeur, c'est la laisser prospérer. La démentir, c'est la propager. Porter plainte, enfin, c'est prendre le risque de passer pour un censeur autoritaire ("s'il se sent mal, il a forcément quelque chose à cacher".)
Cela dit, la vie politique a toujours été infesté de ce type d'épisodes...
De l'affaire Markovic hier au certificat de naissance de Barack Obama, le stade artisanal est devenu industriel. Depuis des années, Barack Obama est accusé d'être né hors des États-Unis. Des documents officiels ont été produits, des témoignages ont été apportés, mais encore aujourd'hui près de 70% des électeurs républicains doutent que le président actuel soit bien né sur le sol américain (à Hawaï, précisément). Sur Google, quand vous tapez "Obama born" (Obama né), les premières suggestions dans la barre de recherche sont "Obama born Kenya", et "Obama born Morocco". Le chercheur Jayson Harsin y voit l’avènement d'une époque de "post-truth politics", quand la politique n'a plus rien à voir avec les faits.
Qui n’a jamais vu l'un de ses contacts Facebook relayer de bonne foi une soi-disant info issue d’un site douteux ? Évidemment, la rumeur n'a pas attendu les réseaux sociaux : "une rumeur et un démenti, ce sont deux informations", selon la formule de Pierre Lazareff, le grand patron de presse.
Mais la force de propagation est incomparable. Pas uniquement à cause de la quantité d'informations qui se déverse. A cause, aussi, de sa nature. Twitter et Facebook amènent à nous une info transmise par notre cercle, par ceux qui nous ressemblent, en qui nous avons confiance. Par opposition, c'est ainsi, à l'information convoyée par la presse : 77% des personnes interrogées par Ipsos disent ne pas faire confiance aux médias classiques.
Ces rumeurs traduisent aussi leur époque. Elles illustrent une panique identitaire. En France, la rumeur dite "du 93" a empoisonné plusieurs villes moyennes françaises (Limoges, Niort, Chalons en champagne) : les municipalités avaient touché des subventions pour accueillir des populations immigrés venues de Seine-Saint-Denis. Faux, bien sûr.
Presqu'en même temps, une autre rumeur se répandait, cette fois dans les quartiers populaires. A propos des ABCD de l'égalité, un programme du gouvernement mis en place pour lutter contre les stéréotypes. La rumeur voulait que les professeurs déguisent les garçons en fille et vice-versa. Un boycott d'une journée d'école a été lancée, et a concerné jusqu'à 20% des enfants dans certains quartiers.
Tel est le nouveau défi des responsables publics. S'expliquer sur leurs choix, mais aussi s'expliquer sur des choix imaginaires qu'on leur prête. Revenons à Christian Eckert. La rumeur sur une vraie-fausse nouvelle taxe a été reprise plusieurs dizaines de milliers de fois sur Facebook. Le ministre, qui tente d'écoper l'océan à la petite cuiller, a vu son tweet partagé... 235 fois.
Chroniques
- haut fonctionnaire et homme d'État français (1911-1974), président de la République du 20 juin 1969 au 2 avril 1974