Politiquement correct
« Les intellectuels ont de l’influence en France lorsqu’ils flattent un vague « politiquement correct », disait Jean-François Revel, ce qui prouve au moins qu’il ne se comptait pas parmi eux…
Les pages Champs libres du Figaro reviennent sur cette expression qui ne s’est pas vraiment précisée depuis que Revel l’employait contre les intellectuels. Comme le rappelle Ran Halévi, après avoir désigné les léninistes qui interprétaient « correctement » la ligne du parti, elle a servi à moquer les zélateurs de l’orthodoxie stalinienne. Puis elle s’est parfaitement acclimatée à la culture politique américaine : « elle renvoyait – je cite – à une idéologie nébuleuse qui prescrivait les règles d’une attitude « correcte » sur des matières aussi diverses que la race, l’homosexualité, le féminisme, le multiculturalisme, les programmes d’enseignement, la discrimination positive… Le « politiquement correct » présente la singularité de faire de la politique hors de la sphère du pouvoir » ajoute l’historien qui souligne que cette idéologie s’est répandue dans les campus et les universités californiennes, qu’elle était moins une doctrine cohérente qu’une « série de postulats et de revendications » posant que « la société occidentale était dominée par un pouvoir mâle, blanc, hétérosexuel ». Si elle a ouvert la voie aux études de genre, afro-américaines ou postcoloniales, Ran Halévy estime que « les grands mouvements qui travaillaient la société américaine — l’émancipation des Noirs ou l’égalité des femmes — avaient précédé l’irruption du politiquement correct ». Mais c’est comme une « habitude française » que l’analyse à son tour Laurent Bouvet, « une habitude politico-intellectuelle qui consiste, à partir d’une bonne intention – limiter les propos discriminatoires à l’égard d’individus ou de groupes dominés en raison du caractère minoritaire de leur identité – à interdire voire à sanctionner toute parole et, très vite, toute pensée non conforme à une certaine vision du monde. » Selon lui c’est essentiellement à gauche qu’elle s’est développée, « une gauche qui a longtemps voulu croire dans son monopole sur les conditions de l’émancipation des exploités et des dominés » et qui serait aujourd’hui « orpheline de son devenir historique ». Cette forme de « pensée unique » aurait dès lors pris le contrôle des médias, de l’école et même du « langage institutionnel », manière pour la gauche « de préserver son hégémonie culturelle sur la société alors qu’elle a perdu politiquement ». On peut sans doute anticiper aujourd’hui l’un des avatars prochains de la notion mouvante de « politiquement correct » dans cette manière d’autodénigrement de la gauche promise à un grand succès sur sa droite…
Dans les pages Idées et débats des Echos, Roger Pol-Droit interroge la formule politique incantatoire du « ni..ni »
« Ni droite, ni gauche », mais dans quel sens ? se demande-t-il. A égale distance des opposés, comme « le « juste milieu » éthique et politique célèbre depuis Aristote » et donc au centre ? Ou dans le rejet d’une alternative jugée fallacieuse du point de vue des extrêmes… Dans les deux cas – observe-t-il « l’attention se focalise toujours sur l’usure – réelle ou supposée – des frontières droite-gauche ». Reste une troisième voie, ouverte par la pensée bouddhiste : « écarter sans les remplacer les termes antagonistes » pour libérer le terrain et avancer. Dans l’interview qu’il a donnée au Point , Basile de Koch, l’un des ingénieux farceurs du groupe Jalons apparu dans les années 80 en suggère une autre encore, au croisement de la métapolitique et de la pataphysique : la « patapolitique »… Manifestations décalées, comme au beau milieu du défilé du 1er mai de la CGT sous la bannière Eléments incontrôlés , ou en plein hiver au métro Glacière contre le froid aux cris de « Verglas assassin, Mitterrand complice ! », c’est la force décapante de l’humour qui fait le vide. Le Groupe d’intervention culturelle s’était fait une spécialité du détournement méthodique des titres de presse, comme le subtil « cafard acharné, hebdomadaire paraissant satirique le mercredi » et il était organisé en courants : Nazisme et dialogue, ou Restauration rapide à sa droite, Socialisme et barbarie ou Vénération Mitterrand à gauche… Au centre, quelques « transcourants » : le Mouvement des Jeunes Crétins, la Chorale Le Mystère des Voix centristes

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