Questions sur la planète
Alors que la COP 21 s’ouvre à Paris fin novembre, les pages idées des quotidiens multiplient les débats sur l’écologie

Sous le titre Quelle planète pour demain, La Croix poursuit depuis le 21 septembre une grande enquête en trois temps : celui des solidarités et du développement durable, celui des solutions – nous y sommes aujourd’hui avec le reportage sur le four solaire d’Odeillo, à Font-Romeu, dans les Pyrénées-Orientales, l’un des trois sites du laboratoire français pionnier de la recherche sur le solaire à concentration, une technique qui pourrait assurer 10% de la production mondiale d’électricité en 2050 – et enfin le temps des décisions qui rendra compte au jour le jour, dans les pages du journal, de la négociation du futur accord universel sur le climat. Libération lance une série ouverte à des philosophes, écrivains, historiens ou sociologues, pour nous dire « comment chacun doit revoir sa manière d’envisager la planète », avec aujourd’hui Corinne Pelluchon qui estime que nous devons « substituer à une anthropologie qui n’a pas offert de contrepoids à l’économisme une autre philosophie du sujet » en repensant « l’individu et notre existence débordée par celle des autres, passés, présents, futurs, humains et non-humains ». Ce souci du vivant, patrimoine naturel de l’humanité, le philosophe et paléontologue américain Paul Shepard l’avait exprimé par l’image de l’arbre et des émotions qu’il éveille, en particulier dans l’esprit des enfants que nous avons été, avec ce désir de grimper dans le labyrinthe de sa frondaison qui raviverait dans notre mémoire génétique le souvenir de la sécurité qu’il pouvait offrir à nos lointains ancêtres tout en évoquant un retour au mode de locomotion des quadrupèdes. « Le désenchantement actuel à l’endroit des idéologies et des desseins des nations « développées » depuis les Lumières – écrivait-il dans Retour aux sources du Pléistocène – ainsi que le déclin de la qualité de vie et de l’expérience même de la vie, s’accompagnent d’une dégradation des écosystèmes et d’une nette augmentation de la pauvreté et des troubles sociaux. » C’est donc le moment, insiste Corinne Pelluchon : « Aujourd’hui, nous vivons une crise écologique, économique et sociale qui est aussi une crise de la subjectivité. » C’est sur ce levier que doivent porter les efforts, car « tant que les motivations des individus ne seront pas prises en compte, les réglementations préconisées pour réduire notre empreinte écologique seront ressenties comme des contraintes extérieures. »
Dans Les Échos l’économiste américain Robert I. Bell suggère de défiscaliser les énergies renouvelables
Et il ajoute que « pénaliser les émissions de CO2 n’est pas la solution, cela n’a pas fonctionné ; la solution serait de basculer massivement les investissements des énergies fossiles vers les énergies renouvelables ». Ce qu’il appelle le ratio espoir/déluge, soit les investissements dans les énergies renouvelables, représentaient l’an dernier 250 milliards de dollars alors que ceux consacrés aux énergies fossiles s’élevaient à 1.000 milliards de dollars, précisément la somme que l’Agence internationale de l’énergie préconise d’investir dans les sources d’énergie non-fossiles. Il faut donc « inverser ces investissements ».
L’Humanité , qui poursuit sa série sur le retour dans l’espace public des « penseurs de l’émancipation », a fait d’Edgar Morin son rédac’chef du jour
L’auteur de la série encyclopédique de La Méthode , dont le premier volume – La nature de la nature – porte sur les concepts de la connaissance physique, délivre dans son édito une belle leçon de sagesse paradoxale : cultiver son oasis à l’abri des déferlantes – je cite « de l’économie techno-bureaucratisée, du calcul aveugle à l’humain, de la compétitivité, de la rationalisation, de la marchandisation. » « Contournons les interdits absurdes, sachons désobéir quand il le faut. » Et surtout « Retrouvons notre propre nature en retrouvant la nature, et retrouvons la nature en retrouvant notre propre nature. »
Jacques Munier
A retrouver dans L’essai et la revue du jour

Paul Shepard : Retour aux sources du Pléistocène (Editions Dehors)
« Quelles sont les conditions écologiques et les pratiques culturelles les plus adaptées à notre humanité ? Dans quelle mesure l’indifférence, l’ignorance ou la subversion de nos dispositions naturelles sont-elles à l’origine des maux sociaux et environnementaux que connaissent les sociétés contemporaines ? Retour aux sources du Pléistocène, dernier ouvrage de Paul Shepard, s’inscrit dans une perspective qui dépasse l’horizon traditionnel de l’histoire des civilisations. En mettant en relation le processus d’hominisation avec les types d’écosystèmes qui ont présidé à l’apparition de notre espèce, Shepard interroge différentes possibilités de vivre en accord avec les attributs biologiques et psychologiques que nous avons acquis au Pléistocène. Questionnant les limites et les contradictions dont sont porteuses les conceptions modernes de l’homme, cet ouvrage ouvre de nouvelles voies pour comprendre en quel sens celui-ci doit être réintégré à l’intérieur de la sphère des êtres vivants en prenant acte de leur commune appartenance. Paul Shepard (1925-1996) a occupé la chaire de philosophie de la nature à l’Université de Claremont et de Pitzer pendant plus de vingt ans. Aux États-Unis, ses livres ont eu une influence déterminante sur le développement de la réflexion aussi bien dans le domaine de l’écologie humaine, que pour le mouvement écologiste. »Présentation de l'éditeur

Paul Shepard : Nous n'avons qu'une seule terre (José Corti)
« Le début de l’agriculture, en général considérée comme l’aube de l’humanité, ne marque-t-il pas au contraire le début de la catastrophe car en nous séparant du vivant et en devenant des agriculteurs, nous avons modifié notre rapport au monde, notre rapport à la terre. Nous sommes passés de l’époque des chasseurs-cueilleurs à celle des agriculteurs puis à celle des esclaves de l’économie. Ces mutations profondes ont-elles marqué un progrès, comme on a voulu nous le faire croire depuis toujours, ou ont-elles été l’entrée dans un engrenage absurde. L’augmentation constante de la population sur une terre, aux ressources limitées par essence, devant aboutir tôt ou tard à une catastrophe généralisée. Bien avant que le thème de L’effondrement, de Jared Diamond, n’en ait convaincu plus d’un, Paul Shepard nous avait avertis, toutes les civilisations sont mortelles, nous devons chercher des solutions et arrêter de faire les autruches.
Paul Shepard, qui fut un des premiers philosophes environnementalistes, nous montre que c’est en nous-mêmes que nous trouverons la force de repenser le monde. Savoir d’où nous venons pourra nous aider à savoir où nous voulons aller. » Présentation de l’éditeur

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