Rencontre avec l’écrivain Patrice Trigano, pour "L’amour égorgé", une biographie romancée du poète et ami des surréalistes, René Crevel
Lundi-Livre
Tewfik Hakem s'entretient avec l’écrivain Patrice Trigano, à l'occasion de la parution de L’amour égorgé, aux éditions Maurice Nadeau. Une biographie romancée du poète, René Crevel (1900-1935), figure du dadaïsme, du surréalisme, qui, à l'âge de trente-cinq ans se donnait la mort.
« Paris, un matin de juin 1914. – Viens voir ! Je veux que tu voies ! Viens, viens tout de suite… Sans savoir de quoi il s’agissait, René se sentait déjà coupable. Effroyable ! Deux pieds étaient en suspension, à hauteur de son front. Le corps inerte de son père pendait à la poutre centrale de la pièce. Son visage déformé faisait une horrible grimace »
Ainsi naît à la vie adulte le futur poète et écrivain surréaliste, René Crevel, que sa mère, sans ménagement, traîna un matin devant cette tragédie.
Il avait tout pour que sa vie fût terrible, mais elle fut belle, très belle, avec une vie mondaine qui lui servait d'antidote. La mort de son père pendu alors qu'il avait quatorze ans, un traumatisme, l'a poursuivi toute sa vie.
C'est une œuvre qui ne ressemble à aucune autre mêlée à l'aventure du dadaïsme et du surréalisme. On sait que le roman n'était pas le fort des surréalistes, or il écrivait des romans, et il fut peut-être le père de l'autofiction.
Il est le moins connu des artistes du groupe surréaliste, j'ai voulu corriger une injustice. Rien n'est hasard, il me travaille depuis mes années de lycée. Moi-même, tombé malade à vingt ans, en révolte contre la vie et ses injustices, je cherchais des livres en résonance ; Artaud, Raymond Roussel, "Mon corps et moi", de Crevel - où il parle de son corps, de sa maladie. René Crevel était tuberculeux.
"Toute sa vie fut une alternance entre maladie et santé, avec une volonté d'aller au bout de lui-même et de ses excès ; alcool, drogues, sexualité débridée"
Il était totalement bisexuel, c'était un être révolté dont la maladie a contribué à accentuer la révolte. Le Marquis de Sade faisait partie de son panthéon, Lautréamont, Germain Nouveau, le symbolisme aussi, l'a intéressé.
"Lorsqu'on lit ses romans, tout est très personnel, embrouillé et pourtant, d'une prodigieuse clarté lorsqu'il fait part de ses états d'âme"
Il éprouvait le besoin de faire un pied de nez à sa maladie, allait s'étourdir dans les grandes soirées mondaines de Paris. Il y trouvait son compte et en même temps, ce sentiment que tout cela était absurde, que tout ce vertige était finalement bien peu de chose. Les grandes chances qu'il a eues c'est de faire de vraies rencontres ; André Gide - à l'époque où il est tourmenté par son homosexualité ; André Breton - il n'avait pas de père, il en cherchait un de substitution ; le poète roumain, Tristan Tzara qui arrivait à Paris et cherchait à étoffer son mouvement Dada ; Cocteau …
Extraits
René Crevel, Mon corps et moi (1925)
Une vie une œuvre, René Crevel. Par Christian Giudicelli et Jean-Claude Loiseau. Émission diffusée pour la première fois sur France Culture le 26.12.1999
Bibliographie
L'amour égorgéPatrice TriganoMaurice Nadeau, 2020
- Ecrivain, galeriste