À l'hôpital, le corps devient un objet. Cette expérience est un choc qui amène à repenser notre rapport au corps dans son dévoilement à autrui. Comment restaurer l'intimité dans un lit d'hôpital ? Comment penser une hospitalisation éthique ?

Le lit n’est pas toujours le cocon douillet que l’on quitte à regret quand sonne l’heure du réveil. C’est aussi le lieu où l’on souffre, le lieu intime qui soudain devient public dans une chambre partagée avec d’autres corps malades, la position horizontale forcée, l’immobilité contrainte, la maladie, la fin de toute pudeur.
Le lit d’hôpital est-il un attentat à la pudeur ?
L'invité du jour :
Eric Fiat, professeur de philosophie à l'Université Paris-est, reponsable d'un master d'éthique médicale et hospitalière appliquée
Discours et réalité concrète
Cette mode de l’éthique médicale me fait plutôt plaisir mais en même temps quelque chose m’inquiète aujourd’hui, ce que j’appellerai le devenir déontologique de l’éthique : de plus en plus, ceux qui prétendent parler d’éthique s’en tiennent sur un discours sur les devoirs... Mais ce discours qui réduit l’éthique à une liste de devoirs est souvent ignorant de la réalité concrète de la vie des soignants. J’essaie de rendre hommage à ce que les soignants vivent, j’aurais quelque honte à leur dire ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire.
Eric Fiat
La mort selon Hannah Arendt
La mort d’un proche devrait se passer dans un lieu clôt, retiré, doux, mais cela se passe dans un lieu ouvert à tout vent, il y a là quelque chose comme un scandale. En philosophie nous pensons que la mort d’un homme n’est pas simplement la soustraction d’un être au monde, c’est la fin d’un monde, c’est comme ça qu’Hannah Arendt désignait la mort. Pour les proches, c’est même souvent la fin du monde.
Eric Fiat
L'hôpital et la perte de nos choix
Le lit dans lequel nous dormons se différencie totalement du lit d’hôpital par le fait qu’en celui-ci nous avons tout choisi : les vêtements que nous portons, le chevet, l’heure à laquelle nous nous couchons... à l’hôpital nous sommes privés de ces choix. Il y a là comme une déchéance, une abdiquation. Nous construisons notre vie quotidienne à partir du tracé que nous faisons de la frontière entre ce que nous voulons montrer, cacher, entre ce qui est public, caché, extime, intime. Nous essayons d’avoir une souveraineté sur ce tracé. L’entrée à l’hôpital c’est souvent la perte de toutes ces souverainetés là.
Eric Fiat
Textes lus par Maëlys Ricordeau :
- Extrait de Mes Hôpitaux, oeuvres complètes, tome IV, de Paul Verlaine
- Extrait des Leçons, de Philippe Jaccottet, 1969
Sons diffusés :
- Archive d'Edouard Philippe datée du 20/11/2019 avec un extrait de l'émission Les Pieds sur terre sur France Culture : "Démissions à l'hôpital : on entassait les patients dans une cave", reportage de Pascale Pascariello, réalisé par Anne-Laure Chanel, 14/12/2018
- Extrait de la série Hippocrate, créée par Thomas Lilti, diffusée depuis 2018 sur CANAL
- Extrait du film Le Château de ma mère, de Yves Robert, 1990
- Musique de Yehudi Menuhin : https://www.youtube.com/watch?v=Yh4v8Oiz9pQ
- Chanson de fin : Pierre Perret, L'hôpital
Chroniques
Bibliographie
Ode à la fatigueEric Fiatéditions de l'Observatoire, 2018
La pudeurAdèle Van Reeth et Eric FiatPlon/France Culture, 2016
- professeur de philosophie à l'Université Paris-est, reponsable d'un master d'éthique médicale et hospitalière appliquée