Les adieux de Rimbaud à la poésie.

« Ah ! Cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n’avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c’était. – Et je m’en aperçois seulement ! » se désole Rimbaud dans Une Saison en Enfer. Pourquoi Rimbaud fait-il ses adieux à la poésie sur un ton rempli de colère et de reproches ? Serait-ce la dernière colère de l'adolescence ? Paul Audi, auteur d'Au sortir de l'enfance, nous parle du poète en adolescent.
Le texte du jour
Tais-toi, mais tais-toi !… C’est la honte, le reproche, ici: Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. – Assez !… Des erreurs qu’on me souffle, magies, parfums, faux, musiques puériles. – Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice : j’ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection… Orgueil. – La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j’ai peur. J’ai soif, si soif ! Ah ! L’enfance, l’herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze… le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte-Vierge !… – Horreur de ma bêtise.
Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien… Venez… J’ai un oreiller sur la bouche, elles ne m’entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu’on n’approche pas. Je sens le roussi, c’est certain.
Les hallucinations sont innombrables. C’est bien ce que j’ai toujours eu : plus de foi en l’histoire, l’oubli des principes. Je m’en tairai : poètes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.
Ah ça ! L’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au monde. – La théologie est sérieuse, l’enfer est certainement en bas – et le ciel en haut. – Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes. (…) Je vais éveiller tous les mystères: mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories.
Écoutez !… J’ai tous les talents ! – Il n’y a personne ici et il y a quelqu’un : je ne voudrais pas répandre mon trésor. – Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l’anneau ? Veut-on ? Je ferai de l’or, des remèdes.
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, « Nuit en Enfer »
Lectures
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, « Mauvais Sang »
Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer, « Nuit en Enfer »
Arthur Rimbaud, Les Illuminations, « Jeunesse », strophes ‘Sonnet’ et ‘Vingt Ans’
Extraits
Archive Brigitte Fontaine émission « chanson boum » 1er juin 2014
Archive Steve Murphy : entretien réalisé en octobre 2008 à Paris.
Références musicales
The Doors, Wild Child
Bruno Letort, Au fil des jours: le temps qui court
Bruno Letort, Never ending
Philippe Thoretton, Rimbaud
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Chroniques
Bibliographie
Au sortir de l'enfancePaul Audiverdier , 2017
- philosophe, enseignant, membre statutaire de l’équipe de recherches Philépol à l’Université Paris Descartes