L'héritage en politique
Chirac ? Voter à gauche ? Voter Hollande ? Oui, c’est une blague. Ce n'est pas comme cela que ça se passe. On ne trahit pas son héritage avec tant de facilité. Et il le sait.
Un ouvrage savant, un collectif, est paru sur ce sujet, l'héritage en politique, il y a quelques mois aux éditions des PUF. C’est peut-être un tropisme personnel, je veux bien l’admettre, mais je trouve cette question passionnante. Nous sommes, pour la plupart d’entre nous, fidèles aux choix de nos parents, plus à ceux des mères, nous disent les sociologues, qu’à ceux des pères. Même si historiquement ce sont eux qui sont engagés dans la chose publique, c’est par les mères, les inflexions du quotidien et la causerie ordinaire, que se transmettent les convictions politiques, comme les convictions religieuses d’ailleurs.
Le sait-on assez, c’est dans les familles qui s’auto-situent à gauche que les parents sont les moins réticents à afficher leur choix et à accepter que les enfants fassent de même. « Au contraire à droite, écrit Annick Percheron citée dans l’ouvrage, la politique est objet de conflit, un monde sale dont il faut se protéger et protéger encore davantage ses enfants. » On hérite aussi de ces habitudes-là.
L'ouvrage contient un cas d'école, on doit à Louis Hincker de l'avoir déterré : c'est celui du poète et ethnologue Michel Leiris. Je n’en rendrai pas compte de l'article dans toute sa subtilité, mission impossible, mais ce qu’on y apprend est étonnant. Michel Leiris, né en 1902 et mort en 1990, qui fut grand adepte de l’autobiographie, retraçait l’histoire de sa famille sur plusieurs générations, en remontant à un trisaïeul, qui participa à la Révolution française, un Leiris qui fut conventionnel et régicide.
En réalité cette conviction procède d'une confusion, son trisaïel était un ouvrier menuisier qui n'en participa pas moins à la Révolution et s’enrôla pour la guerre de Vendée.
Mais qu’importe la réalité, cet héritable a pesé sur Michel Leiris. La lignée a un sens quand on a un ancêtre régicide. Tout de même, ce n’est pas rien, il faut imaginer la charge symbolique : voter la mort du roi. Mais que transmet simultanément cet héritage sinon qu'il faut toujours réexaminer l'autorité du père, comme on avait fait avec la figure du roi ?
Et ce qui est fabuleux, c’est que l'histoire de la famille sur cinq générations est la mise en application stricte de ce message contradictoire. « Les rapports père / fils sont conflictuels tout au long de l’histoire du lignage. En juin 48, par exemple, le père Leiris, fils de sans-culotte, s’apprête à marcher sur Paris pour réprimer les barricades sur lesquelles combattent ses deux fils. Au début du XXè siècle, le père du futur biographe, fils de quarante-huitard, donc, fait carrière dans la finance et est confortablement installé dans le 16è arrondissement de Paris ». Aux yeux de Michel Leiris, qui fréquente les surréalistes et participe de l'avant-garde esthétique des années 1930, son père est un vrai représentant de la bourgeoisie étriquée de la Belle-Epoque.
Chaque nouvelle génération aura donc construit à sa manière une rupture avec celle qui la précédait en réactivant des références grand-paternelles.
Belle reproduction de la double aspiration de la Révolution française qui se voulait en rupture avec le monde ancien tout en ayant la velléité de se transformer en tradition. Contester le père tout en restant loyal à la lignée.
Un exemple parfait de ce que la sociologue Anne Muxel appelle joliment le tracé « tremblé » de toute transmission. Car chaque génération nouvelle est confrontée à une double injonction s’identifier aux aînés et expérimenter. Un héritage trop figé se meurt lentement. Il faut reproduire et inventer.
Ce n’est qu’à cette seule condition, qu’il soit réapproprié et réadapté, qu’un héritage politique peut être mobilisé. « Une valeur qui ne tremble pas est une valeur morte » a écrit Gaston Bachelard.
Hériter, comme l’écrit Ludivine Bantigny, l'une des directrices de l'ouvrage, c’est rendre le passé contemporain.
Un dernier mot pour Jacques Chirac, décidément vieux renard de la politique : son goût pour la plaisanterie corrézienne ( « je voterai Hollande ») est l'indice de cette intuition particulière, qu'explore un autre aspect de l’ouvrage. Eh oui, lui, il le sait, derrière tout héritier sommeille un assassin…
Pour en savoir plus, Hériter en politique , aux éditions des PUF.

Pour vous abonner, saisissez votre adresse email.