L'aéroport invente la ville de demain
Le succès du Salon du Bourget nous le rappelle : avec l’avion l’homme a réalisé un de ses rêves les plus anciens : voler. Quand bien même tout le monde ne l’utilise pas encore, l’avion incarne notre époque de mobilité généralisée. En réduisant considérablement les temps de transport, le trafic aérien a considérablement réduit les distances. Il a aussi, et peut être surtout, généré un nouveau type de territoire : l’aéroport.
L’aéroport est le plus souvent vécu comme un lieu de passage. L’anthropologue Marc Augé l’a même qualifié de « non lieu ». Selon Jean-Baptiste Frétigny, c’est tout le contraire ! « L’aéroport, écrit ce géographe, permet de penser les transformations des pratiques territoriales sous l’effet des mobilités ». Aujourd’hui, les aéroports sont utilisés par trois milliards de passagers dans le monde en une année. Ce nombre est appelé à croître formidablement.
Loin d’être des non-lieux, les aéroports sont les laboratoires des territoires de demain. Ils sont devenus des villes en soi. Dessinés par les plus grands architectes, comme Andreu à Paris et Nice, Bofill à Barcelone, Calatrava à Bilbao, Foster à Pékin, ils sont des vitrines de l’urbanisme contemporain. Côté cour, ils sont de gigantesques espaces de travail. 60 000 personnes sont employés à Roissy, des milliers y dorment.
Les aéroports rivalisent d’inventivité pour s’urbaniser. L’aéroport Changi de Singapour propose ainsi cinq jardins, dont une serre à papillon, un aquarium et une piscine publique en plein ciel. L’aéroport de Roissy vient d’ouvrir son espace musée : l’exposition en cours propose les œuvres de la fondation Dubuffet.
Pour Rem Koolhaas, l'architecte hollandais, les aéroports sont des villes génériques : elles sont créées sur un même modèle type. Partout, les aéroports agencent à l’identique commerces, restauration, capacités hôtelières, dessertes de transports urbains, lieux de prières, zones franches, d’industries et de services. L’urbaniste Nathalie Roseau explique à juste titre que « situés en périphérie, les aéroports figurent de gigantesques centralités urbaines ».
Mais, à la différence des villes, les aéroports échappent totalement à la citadinité. Ils sont à l’espace public ce que le Canada Dry est à l’alcool. Leurs dirigeants ne sont pas élus les aéroports ne sont pas gouvernés par une municipalité. L’aéroport est une ville qui norme et encadre la mobilité comme les pratiques les plus quotidiennes. L'espace et les déplacements y sont fractionnés et compartimentés – quel paradoxe pour un lieu qui est le point de départ de l’envol !
La barrière et le contrôle y sont la règle. Les aéroports mettent en œuvre comme nulle part ailleurs les processus de hiérarchisation et de catégorisation des personnes – selon le prix du billet, le type de vol et de compagnie, la provenance, la destination, la nationalité et les papiers d’identité. Vitrine de la mondialisation transfrontière, les aéroports sont à la pointe des frontières les plus modernes, avec biométrie, zones de transit et de rétention extra-territoriales.
Laissons nous transporter de plaisir par le spectacle des avions au Bourget, mais ne perdons pas de vue que l’urbanité se joue au sol.
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