Des réformes à l'occasion des révolutions
Régulièrement, Jacques Attali, vous venez nous menacer de déclin, d’effondrement, voire de faillite, si nous persistons à refuser les réformes qu’exigent de nous, à l’unisson, la Cour des Comptes, la Banque de France, la Commission européenne et l’OCDE. Vous prophétisez un risque révolutionnaire , dont vous vous décelez les signes avant-coureurs dans la montée des exaspérations. Vous vous inquiétez de la conjonction des extrêmes autour d’un programme illusoire renfermement sur soi. Mais puisque notre fameux « modèle » se révèle décidément inadapté à l’état actuel du monde, pourquoi ne pas refuser la compétition et recourir aux vieilles méthodes qui marchaient si bien dans les années 60 : le protectionnisme, le contrôle des changes, le rachat des dettes publiques par une Banque centrale, redevenue dépendante du pouvoir politique, le retour au France faible, que sais-je ? La nationalisations des banques, comme en 81 – réforme dont vous avez été l’un des co-pilotes et soutenez encore rétrospectivement le bien-fondé…
Les experts disent que sont là des illusions – que n’y avons-nous pas pensé plus tôt, nous pourrions continuer à vivre indéfiniment à crédit, et même tous sur un grand pied… Mais vous n’empêcherez pas ces idées de séduire des Français qui ne savent plus à quel saint se vouer – et qui n’ont pas tous fait, comme vous, Polytechnique et l’ENA….
Notre Etat, nos administrations et collectivités locales sont peut-être redondantes, en sur-effectifs, inutilement complexes, budgétivores, disent-ils… Mais le fait qu’un actif sur quatre travaille dans le secteur public permet à près de la moitié des foyers français de rester assuré de conserver un revenu fixe, en cas de crise économique majeure et de chômage de masse. Si nous avons le taux de dépenses publiques par rapport au PIB le plus élevé d’Europe, après le Danemark, c’est parce que nous consacrons aussi le taux le plus élevé à la redistribution sociale. Notre marché de l’emploi est rigide. C’est vrai, mais s’il tend à décourager les embauches et à favoriser l’intérim et les contrats précaires des jeunes, il sécurise aussi l’emploi des salariés chargés de familles. C’est ce qu’on appelle l’édredon français . Et vous aurez bien du mal à convaincre d’y renoncer, pour l’air du large, une population qui voit fondre son pouvoir d’achat…
Sans doute, oui, sommes-nous incapables de nous réformer, sinon, comme le disait Aron, à l’occasion de révolutions – toute notre histoire, au cours des deux derniers siècles le prouve. Sans doute, ratons-nous presque systématiquement toutes les grandes révolutions industrielles, ne montant dans les trains qu’avec une génération de retard. On vous accordera aussi que nous avons eu tendance à tourner le dos à notre littoral maritime, pour nous rêver en puissance continentale. Très tôt, nos rois ont opté pour un Etat terrien, continental – donc centralisé et autoritaire, collecteur et distributeur de grains. Et cela nous aura conduit à nourrir un sentiment national ombrageux, méfiant envers l’étranger, porteur d’idées nouvelles un tempérament hostile au commerçant et au banquier.
Vous nous dites aussi que nous sommes une nation de rentiers, gros et petits , d’autant plus attachés à nos petits privilèges, à nos maigres sinécures que nous redoutons que toute réforme d’envergure nous prive du peu que nous avons conquis. Mais qu’entendez-vous par « rentiers » ? Certes pas la classe de parasites du XIX° siècle, qui pouvait consacrer sa vie à l’oisiveté plus ou moins élégante et à la bonne (ou à la mauvaise) littérature. Non, ces rentiers-là ont été ruinés à plusieurs reprises par l’inflation, définitivement à l’occasion de la Guerre de 14-18. Il semble que votre concept de la « rente » s’étende à tous les « privilèges », aux multiples « blocages » que vous voulez faire sauter, aux avantages de statuts, procurant des revenus réguliers qui ne proviennent pas directement d’une activité productive. Vous rêvez d’un grand soir, d’une nuit du quatre août, au terme de laquelle qui nous renoncerions à ces avantages acquis, dans un grand élan de civisme égalitariste …. Mais comme dit l’adage : on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne. Que les autres commencent !
Des réformes, vous en avez murmurées à l’oreille de l’ancien président Sarkozy, et vous estimez à un tiers celles qu’il a réellement mises en application – l’autonomie des universités, le statut d’auto-entrepreneur qui a attiré près d’un million de personnes, mais que la gauche veut remettre en cause, le licenciement à l’amiable et la représentativité syndicale, qui n’a pas eu, jusqu’à nouvel ordre l’effet escompté. A présent, vous suggérez dix chantiers au président Hollande. Et vous lui présentez l’exemple de pays qui, confrontés avant nous au même genre de blocages que les nôtres, ont su se réformer, sans avoir besoin de faire la révolution. N’y aurait-il donc pas de différences entre réformisme de droite et réformisme de gauche ? A combien estimez-vous vos chances d’être suivi par ce président-là ?
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