Votre livre est, « à sa façon, un documentaire », écrivez-vous au moment de conclure et de livrer, comme à la fin des films inspirés par des histoires vraies, ce que sont devenus les héros après les faits rapportés. Comme vous avez le sens du mot exact, on ne peut vous soupçonner d’avoir choisi « documentaire » par hasard. Or, le genre documentaire propose un regard informé sur une réalité. Un regard qui ne s’interdit pas une forme de subjectivité, mais qui présente souvent aussi un aspect didactique : faire savoir en montrant, mais aussi expliquer pour faire comprendre. Que cherchez-vous à faire comprendre ?
Votre regard, on le connaît depuis plusieurs livres. Il est froid et détaché, dénué d’auto-complaisance et à peine ironique - comme un tableau hyperréraliste. Jeté sur une période comme l’enfance et l’adolescence, censée susciter chez chacun la nostalgie d’un paradis perdu, l’effet est décapant. « Dans le roman de sa vie que chacun peaufine à l’adolescence, et qui détermine pour une grande part ses premières décisions », écrivez-vous fort justement, « j’ai tenu le rôle de l’enfant d’un couple désuni. (…) C’était ma marque de fabrique… ma différence, je m’en targuais : la vie, chez moi, n’était pas « normale », mon père n’était pas là pour fêter Noël, nous passions la plupart des vacances sans lui, un autre homme au statut indéfini venait à la maison pendant ses absences. » (82, 83).
L’origine de cette mésentente, là encore, est rapportée sans romantisme dans une reconstitution digne d’un docufiction : le père rentre de camp de prisonnier, après la guerre, dans un costume trop grand pour lui. Il croise, dans l’escalier, la mère, qui se rend à son travail. Ayant perdu ses bonnes joues et portant la coiffure extravagante de la mode d’après-guerre, elle ne correspond plus à l’image qu’il a chérie dans ses stalags. Pressée, elle lui lance, en guise de bienvenue : « Ah te voilà, toi ! » A la maison, l’attend la belle-mère. Ca recommençait mal. Plus tard viendront les insultes et les coups, l’enfant d’un autre. Et la petite Catherine se forgera un personnage de cour de récré : elle est la fille de parents qui se haïssent . Ce qui lui procurera le sentiment d’avoir un tour d’avance sur les autres une forme de maturité précoce. L’expérience de la vie.
En outre, mettre des mots sur les drames de sa vie est une façon de les tenir à distance, de désamorcer la souffrance qu’ils provoquent. Plus loin, « J’étais malheureuse que mes parents se détestent, mais raconter que mon père était un coureur et que ma mère avait un amant me permettait de m’en moquer avec les autres. » (107)
Car il y a une autre façon de lire votre livre, à laquelle vous ne semblez pas avoir songé. Il y est beaucoup question de lectures et d’écriture. Des pages recopiées, des récits. On peut très bien lire ce récit d’une enfance malheureuse comme la naissance d’une vocation d’écrivain . Vous avez compris très jeune que « les mots marquent la distance minimale qu’il est permis de mettre entre soi et la douleur. » (106) A l’adolescence, vous vous sentiez investie d’une « importante mission divine » (238). Manifestement, cette mission était l’écriture. Dieu aurait été bien étonné que cette mission consiste à produire, notamment, "La vie sexuelle de Catherine M." Mais pourquoi l’écriture relevait-elle à vos yeux d’une mission divine et qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
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