L'incendie de l'usine Lubrizol, survenu dans la nuit du mercredi au jeudi 26 septembre, fait ressurgir dans le débat public la question des risques liés aux activités industrielles dans les zones urbanisées.

L'incendie du complexe industriel Lubrizol à Rouen remet au centre du débat la gestion des risques posés par les activités industrielles sur les populations. Alors que les autorités se veulent rassurantes, un certain nombre de questions restent en suspens. Quels sont les risques réels posés par ce type d'installation sur les populations locales ? Comment les pouvoirs publics préviennent-ils et gèrent-ils les conséquences d'un tel incident ? Devons-nous nous résigner à vivre avec ce type de risque ?
Pour en parler, nous recevons Jean-Baptiste Fressoz, historien, chercheur au CNRS, auteur de “L’apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique” (Seuil, 2012), et co-auteur, avec Christophe Bonneuil, de “L’Événement Anthropocène” (Seuil, 2013).
Nous continuerons cette discussion avec Myriam Merad, directrice de recherches CNRS UMR LANSADE (Laboratoire d’Analyse et de modélisation des systèmes de décision), et Renaud Bécot, docteur en histoire de l’environnement et membre du Ruche (Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale).
Rouen, un berceau historique de l'industrie chimique
“Le lieu de Lubrizol se trouve à moins d’un kilomètre de là où a commencé l’industrie chimique en France. À la fin du 18ème siècle, Rouen est une grande ville industrielle et a besoin d’acide sulfurique en particulier. On a bien vu dès la fin du 18e siècle une opposition entre les habitants et l’État central. Le parlement local ne veut pas de cette usine, et le gouvernement français dissout le parlement et force l’implantation de cette usine.” Jean-Baptiste Fressoz
La législation des sites industriels
La législation du début du 19ème siècle marque le début d'un "droit à polluer" : “Le décret de 1810 est fondateur du droit à polluer : il faut que les usines demandent une autorisation administrative. C’est en fait l’inverse d’une loi écologique : une fois que l’usine est autorisée, les voisins n’ont aucune chance d’obtenir son déplacement.” Jean-Baptiste Fressoz
“On a l’impression d’une maîtrise, avec des inspecteurs, l’administration, des normes. Cela donne une maîtrise du risque, mais aussi une illusion de la maîtrise. “ Jean-Baptiste Fressoz
La gestion des risques industriels
Il est important de distinguer les notions de risque et de danger : "Un danger, c’est la possibilité qu’un événement se passe sur une installation à risque. Un risque, c’est le fait qu’il y ait des personnes ou des biens exposés.” Myriam Merad
“Depuis l’accident d’AZF il y a eu un doublement du nombre d’inspecteurs d’installations classées.” Myriam Merad
“Dans le passé, les sites industriels étaient excentrés de la ville. Il y a eu une urbanisation galopante et donc un rapprochement entre villes et sites industriels. Les services de l’État veillent à gérer ce passif. C’est pour cela qu’il y a ces mécanismes de plan de prévention des risques technologiques.” Myriam Merad
À propos des conséquences de l'accident dans la raffinerie deFeyzin en 1966 sur les politiques industrielles :
"L’accident dans une raffinerie présentée à l’époque comme extrêmement moderne va marquer l’opinion et les médias. Cela va entraîner dans la foulée d’une politique dite de l’environnement industriel, l’ensemble des mesures qui limitent les risques mais qui ne prennent pas en compte les dimensions de santé sur les populations, […] qui sont considérées comme relevant du ministère de la santé.” Renaud Bécot
La transparence de l'État lors des incidents industriels
“Il n’y a pas eu de dissimulation des informations dans le cas de Feyzin ou d’AZF, mais on observe une évolution des stratégies de gestion autour de ces incidents. […] Jusqu'aux années 1970, on a une gestion des réactions humaines, des mouvements de panique, et assez peu sur la dimension sanitaire ou environnementale. […] On voit ensuite une inflexion, avec une prise en compte de plus en plus importante des enjeux environnementaux et un peu des enjeux sanitaires.” Renaud Bécot
Chroniques
Bibliographie
- historien des sciences, des techniques et de l'environnement
- Directrice de recherches CNRS UMR LANSADE (Laboratoire d’Analyse et de modélisation des systèmes de décision)
- Docteur en histoire de l’environnement, membre du Ruche (Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale)