En ce début de printemps, la pression hospitalière ne montre aucun signe de relâchement en France. Le président a décidé de durcir et d'élargir les mesures de confinement après que sa stratégie de lutte contre la pandémie a été critiquée par de nombreuses voix du corps médical.
À quoi est due la situation dans les services de réanimation ces dernières semaines : à une tactique de crise déficiente ou à la stratégie sanitaire déployée depuis des années ?
Stéphane Velut, chef de service Neurochirurgie au CHU de Tours, essayiste, auteur de "L’Hôpital, une nouvelle industrie" (Gallimard, coll. « Tracts », janvier 2020) et Stéphane Gaudry, professeur de Médecine Intensive Réanimation à l’hôpital Avicenne à Bobigny, répondent à nos questions.
La question du renfort en réanimation
Hier soir, Emmanuel Macron a promis dans son allocution d’apporter des « renforts supplémentaires » dans les services de réanimation. Se pose alors la question de la question de la qualité des soins.
On a un certain nombre de personnes qui connaissent ce métier, du personnel peut venir nous aider pour gagner du temps et prendre en charge des malades mais monter jusqu’à 10 000 lits, ce n’est pas possible sans réduire la qualité de soins. Il y aura des lits de réanimations sans réanimateurs. Stéphane Gaudry
Les hôpitaux publics ont perdu à peu près 100 000 lits en 20 ans. Un hôpital avec 2 000 lits emploie 9 000 personnes à temps plein. Stéphane Velut
Il y a eu des aides, du personnels venus nous aider pendant la première vague. La vraie question n’est pas locale mais régionale et nationale. Pour créer des lits de réanimation, on est obligé de les créer hors des services et avec des gens qui ne sont pas réanimateurs. Stéphane Gaudry
Avec un réanimateur et trois ou quatre infirmiers, on pourrait ouvrir un lit. Il faut aussi du monde 24h sur 24h, 7 jours sur 7. Stéphane Gaudry
Le rôle à jouer des hôpitaux privés
Les transferts de patients dans les hôpitaux privés ont déjà commencé. Quels problèmes ce « coup de main » pose-t-il ?
Le privé aide déjà beaucoup, particulièrement les cliniques privées avec des services de réanimation qui prennent un charge un très grand nombre de malades. Stéphane Gaudry
Mais est-ce que dans les petites cliniques privées, on peut envoyer des malades graves du covid ? Oui, mais à quel prix ? Ces structures ne sont pas adaptés à la réanimation. On tombera sur des équipes qui n'ont pas d’expertise et il y aura un disparité entre les patients dans ces cliniques et ceux dans les vrais services de réanimation. Stéphane Gaudry
Le problème public des hôpitaux
Pour le professeur Velut, il y a un sérieux manque de visions de la part des politiques au sujet des hôpitaux.
Jamais on n’entend un politique parler de ce problème ouvertement. Jamais on entend dire « que va-t-on faire pour l’hôpital de demain ? Rester sur cette politique néolibérale ? Il n'y a pas de perspectives pour la population, ni pour le long terme dans les services de santé. Stéphane Velut
On est face à un problème qui pose des questions éthiques et morale difficile à résoudre. Précisément, c’est la crise qui nous a mis dans cette situation mais aussi une politique de 20 à 30 ans qui nous a enlevé les moyens pour faire face à cet incident inhérent à la vitesse et au flux. Stéphane Velut
On sait maintenant que les pandémies virales sont une des grandes menaces qui pèsent sur l’humanité. On en paie maintenant le prix et je ne sais pas dans quelle mesure celui-ci sera lourd. Stéphane Velut
Chroniques
- Professeur de Médecine intensive réanimation à l’hôpital Avicenne à Bobigny