Premier volet d'une série de cinq entretiens avec Nathalie Sarraute. Née en 1900, elle nous raconte son enfance écartelée entre des parents divorcés, l'un en Russie et l'autre en France. Elle se souvient de son goût très tôt pour la lecture et les langues. Elle aborde également son travail d'écriture et sa recherche méticuleuse de la bonne métaphore pour transmettre au lecteur une certaine sensation.
Dans ce premier entretien, Nathalie Sarraute parle de sa maison d'enfance à Ivanovo qu'elle vient tout juste de revoir mais dont il ne lui restait aucun souvenir. Elle l'avait quittée à l'âge de deux ans et y était repassée jusqu'à l'âge de 6 ou 7 ans. Puis elle évoque ses parents, sa mère a quitté son père et elle a vécu à Paris avec lui. Elle s'est tournée vers la lecture qu'elle adorait : "J'aimais beaucoup lire. Je n'avais pas besoin de beaucoup d'encouragements pour ça. [...] Je me rappelle avec ferveur les livres de la Bibliothèque rose." Fréquentant l'école maternelle en France, Nathalie Sarraute a appris les deux langues russe et française en même temps. "Quitter Saint-Petersbourg, c'est en même temps quitter ma mère. Alors le retour ici était difficile."
Elle se souvient du sentiment d'horreur qui l'a submergée quand elle est partie en voyage en Russie vers 1936-1937 : "J'étais horrifiée par ce qu'il se passait, par la terreur, les arrestations..." Elle n'y est plus retournée jusqu'en 1956 et ne se sent pas particulièrement concernée par les événements qui s'y produisent, "ça ne suffit pas que ce soit le pays des parents", explique-t-elle.
L'écrivaine ne se définit pas comme "une très bonne lectrice", "trop prise par [ses] propres obsessions", elle dit avoir "l'impression d'être enfermée" : "Je crois que chaque écrivain est enfermé dans son univers à lui et que les autres, enfin, il les regarde pour voir ce qu'ils font... Je crois qu'on est très seul." Elle se dit "absorbée" par ses propres réflexions et sensations qu'elle tente de cerner au mieux, de les saisir grâce aux métaphores. Ce travail d'écriture est aussi un travail de réécriture, jusqu'à trouver "le rythme des métaphores pour rendre cette sensation qui n'est pas définissable".
Généralement, je lis ce qui m'intéresse au point de vue littéraire au moment où je travaille. C'est surtout ça, ce n'est pas une question de qualité, même. Enfin, comme ça, je feuillette et je regarde. Ça m'intéresse les recherches des autres sur le plan de la forme et du fond.
Elle se souvient des lectures qui l'ont marquée dans sa jeunesse, celles de Ponson du Terrail, ou les aventures de Fantômas aussi, "c'était la grande passion... la passion dévorante", s'exclame-t-elle. Dans son parcours scolaire, la littérature et les langues, dont le latin, lui ont apporté beaucoup de plaisir. Elle dit avoir "adoré" le latin, "ce fut une véritable passion".
Nous avions à l'époque des maîtresses d'école qui étaient remarquables, merveilleuses. C'était une vraie vocation. Une gentillesse à l'égard des élèves, une compréhension que j'ai trouvées là-bas qui étaient tout à fait extraordinaires. C'était l'école laïque française, l'école communale d'avant la guerre 14, je crois que c'est vraiment unique.
Brièvement, à la fin de l'entretien, elle revient sur son parcours scolaire, une licence d'anglais, une année à Oxford, une licence de droit. De son passage en Angleterre, Nathalie Sarraute dit que ce fut "une oasis, une période heureuse". Dans toutes ces brillantes études, son seul regret est de n'avoir pas appris l'italien, "j'ai commencé à apprendre l'italien plusieurs fois, puis je me suis arrêtée à chaque fois".