Quand les bêtes sont des dieux : Des lapins
Pour tous les peuples amérindiens, du Nord au Sud du continent américain, le dualisme est la règle de base, Lévi-Strauss l’a magnifiquement démontré dans un de ses derniers livres, Histoire de Lynx .
Chez les Aztèques, on honorait le lapin, mais selon la règle du dualisme, on n’honorait pas un seul lapin. On honorait Deux Lapin, sans mettre le lapin au pluriel, s’il vous plaît. Deux + Lapin, Lapin sans « s », c’est comme ça.
Avant de découvrir ce que cachent Deux Lapin, voyons où naquit cette affaire à l’époque de la mystérieuse cité de Teotihuacan, antérieure à la migration de ceux qui devinrent les Aztèques. Il faisait noir. Les dieux réunis voulurent créer des « luminaires » ( c’est le mot de la Genèse pour le soleil et la lune). Pour y parvenir, deux d’entre eux devaient se jeter dans le feu d’un brasier. On demanda des volontaires.
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Moi ! dit aussitôt un dieu bien baraqué en roulant des mécaniques.
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Qui d’autre ?
Silence. Alors les dieux choisirent le plus vilain d’entre eux, un petit dieu pustuleux et timide. On alluma le feu. Les deux dieux désignés s’avancèrent. Le dieu musclé prit son élan une fois, deux fois, trois fois, quatre fois… Quatre étant le chiffre de l’infini, on a compris que le dieu baraqué avait si peur qu’il ne sauta pas dans le feu.
Mais le petit dieu pustuleux n’hésita pas, et entraîna l’autre peureux dans son sillage. Ils brûlèrent. Les dieux attendirent de voir leurs luminaires,qui se levèrent dans le ciel, tous deux éclatants de lumière.
L’assemblée des dieux jugea que ce n’était pas juste et comme un lapin batifolait devant eux, un des dieux prit le lapin et le jeta sur la face du dieu baraqué. Non mais des fois ! Ce froussard n’allait pas briller du même bel éclat que son compère !
L’astre frappé du lapin devint la lune et l’astre du courageux petit dieu, le soleil. On comprend l’importance de Deux Lapin.
Deux Lapin est le dieu de l’ivresse, mais pas n’importe laquelle. Il s’agit de l’ivresse du pulque, l’alcool de sève d’agave, une ivresse de bas étage pour les orgies des paysans. Dans la cité, le dualisme étant ce qu’il est, l’ivresse était punie de mort mais obligatoire dans les banquets. Comment faire ? En s’aidant de rituels. Le prêtre de la déesse de l’agave s’appelle « Vénéré Deux Lapin » , et la déesse elle-même porte 400 seins pour allaiter ses 4000 lapins. Allons bon, voilà qu’ils sont 400 maintenant….
Non. Ils sont le chiffre de l’infini comme le Deux de Deux Lapin signifie le dualisme de base. Deux égale Un.
Chaque ivrogne a son Deux Lapin particulier, comme le dit le proverbe « A chacun son lapin ! » Se soûler se dit s’enlapiner ou devenir lapin. Autrement dit, trouillard comme le beau grand dieu musclé qui n’osait pas se jeter dans le feu.

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