Le cinéaste hongrois est invité dans le cadre du festival un week-end à l'Est, pour deux de ses films "Nid familial" et " Les Harmonies Werckmeister". Il nous parle de films qui ignorent la question du temps, de cinéma en réponse à sa colère, et d'empathie acquise.

Cinéaste exigeant et sans concession, Béla Tarr a réalisé une dizaine de films, dont Le Cheval de Turin (2011), Ours d’argent à Berlin. Un style unique — images en noir et blanc, longs plans-séquences, , musiques entêtantes — qui n’obéit à aucune autre contrainte qu’artistique. À une vision pessimiste du monde, il oppose une liberté de création absolue et une foi à toute épreuve dans la puissance de l’art.

En 1977 j’avais 22 ans, je n’avais pas étudié le cinéma, mais il faut comprendre qu’à cette époque et au début des années 70, l’esprit de 1968 nous habitait. Nous étions très en colère, nous étions très jeunes, nous voulions changer la société, je ne voulais pas aller taper à porte, je voulais enfoncer cette porte. Je voulais faire quelque chose de laid , de dur, de sale, un film très brut, je voulais montrer les vrais gens, la vraie vie. Je voulais secouer les gens, c’était ça mon ambition, mais la société ne voulait pas changer. On pourrait faire le même film aujourd’hui, ce qui ne me rend pas heureux.
La plus grande tragédie, c’est quand vous avez le sentiment que vous pouvez faire des choses, mais qu’en fait c’est impossible, pas à cause de vous, mais parce que vous n’en avez pas l’opportunité. Vous êtes le prisonnier d’une situation politique, sociale, et vous n’avez aucune chance de vous en sortir.
Il faut avoir de l’empathie, essayer de comprendre les gens. Pourquoi est-ce qu’ils agissent comme ils le font, qu’est-ce qui se passe entre nous. Je suis plus tolérant à présent, j’ai davantage d’empathie pour les gens. Je n’ai jamais jugé personne, et maintenant encore moins. Mais je suis toujours en colère : comment accepter le monde tel qu’il est.
A un moment j’ai compris que le paysage avait un visage et que tout avait un destin, et que tout était lié, y compris le temps. Les longs monologues ont toujours été ma manière de traiter le rapport au temps différemment. Quand on commence à l’utiliser beaucoup, à un moment donné on l’utilise presque trop et dans ce cas-là, on se retrouve forcément très près d’une approche cosmique du monde.
J’ai compris que si on ne change pas de point de vue, on était toujours en train de raconter la même histoire stupide.
La pluie chez Tarkowski cherche à purifier, ma pluie à moi, c'est de la boue, elle vous empêche d'avancer, elle vous rend plus sale.
L’éternité c’est une manière de penser, une sorte de point de vue. Il ne s’agit pas que du temps, c’est une forme de continuité.
Extrait
Les Harmonies Werckmeister, Film de Béla Tarr, 2000
Archive
Andreï Tarkowski, émission « les mardis du cinéma », France Culture, 1986
Références musicales
Arvo Pärt, Spiegel im Spiegel
BO du film Damnation, "Kész az egész", de Mihály Vig
(1ère diffusion le 22/11/2018)
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