L'envol des drones civils
Vendu jusque seulement quelques dizaines d'euros sur les marchés de Noël, le drone entre dans les foyers. Grâce à une réglementation très favorable, la filière française décolle dans le monde entier. Mais elle se structure encore et cet essor pose des questions de sécurité et de vie privée.

« Mon fils m'a offert en cadeau pour mes 90 ans une grande boîte, et j'ai eu la surprise de voir écrit dessus "drone" ! » L'été dernier, Marcel Dumont a ainsi hérité d'un engin à piloter grâce à son téléphone mobile. Même si en raison de sa vue défaillante, sa femme et son fils sont plutôt à la manoeuvre. « C'est remarquable », confie celui né en même temps que les ancêtres de ce drone. Cet ancien professeur de mathématiques et son épouse, qui dirigea un établissement scolaire, se réjouissent de cet « outil pédagogique et social » qui passionne aussi leur petit village normand de 1.500 habitants, en bord de Seine. « Sans aller espionner les voisins ! », précise madame :
Retrouvez l'histoire de Marcel et Françoise dans le diaporama ci-dessous regroupant vos réactions. C'est ainsi que nous les avons connus ! :
La France en pointe mais en manque d'investissements
Ces objets volants connectés attirent de plus en plus d’amateurs et de professionnels, grâce à de petits prix pour de maxi technologies, à une réglementation très favorable établie dès 2012 par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) et à une communauté en ligne de plus en plus active. Il s’en est vendu 100.000 l’an dernier, pour au total deux fois plus à disposition des amateurs. Sans oublier ceux "faits maison", promus par des sites comme "mon drone". Et ils déclenchent de plus en plus d’événements, comme le DroneFest, à Toulouse, ces jours-ci, ou en juillet, à Saint-Médard-en-Jalles, le 1er Festival international du film de drones en Europe.
5.000 emplois ont été créés en France dans un millier de sociétés, avec un effectif moyen de 4 salariés. Le drone fait partie des Plans d'investissement d'avenir gouvernementaux et les prévisions de croissance font rêver beaucoup.
Le cabinet Teal Group évalue le marché mondial actuel à 6,4 milliards de dollars, et à près du double dans une dizaine d'années.
La France est donc en pointe sur ce marché, via notamment Parrot, l’un des géants mondiaux du drone de loisir qui vient de s'installer dans la Silicon Valley.
C'est de là-bas justement qu'Emmanuel de Maistre nous a confié son analyse. Il dirige et a co fondé la société Redbird, spécialisée dans la collecte et l'analyse de données par drones et qui a bénéficié il y a peu d'un gros investissement de GDF Suez. Pour Emmanuel de Maistre, la France a encore de l'avance grâce à son expérience, mais elle manque de fonds alors que les Américains et les Chinois sont très intéressés par ce secteur. Amazon et Google se sont d'ailleurs déjà manifestés :
Faire cohabiter amateurs et professionnels

Le président de la fédération professionnelle du drone civil, Stéphane Morelli, craint pourtant le contre coup de ce qu’il qualifie de « mode ». Il s’inquiète de certaines dérives sur internet et les réseaux sociaux. « Ces réseaux, souvent, parlent du drone comme d'un moyen de liberté, d'expression, parfois même de revendication. Et c'est là où l'on a pu voir parfois quelques excès de personnes qui ne peuvent pas à ce moment là rejoindre les rangs des professionnels parce que le drone n'est plus considéré comme un outil mais comme un moyen de revendication ou de contestation. »
Stéphane Morelli souligne toutefois qu’il n’y a jamais eu jusqu’à présent d’accident grave en France, mais il attend davantage que la notice des 10 commandements du drone de loisir, établie par la DGAC, en concertation avec la CNIL et sa fédération (voir ci-dessous). D'autant que de son propre aveu cette notice n'est pas systématiquement remise à tous les acheteurs :

Le ministère de l’Intérieur suit de près ce dossier, en particulier bien sûr depuis la multiplication de survols illicites au-dessus de centrales nucléaires, de sites militaires, de villes, et même de l'Elysée, fin janvier.
Les préfectures sont d'ailleurs désormais souvent beaucoup plus tatillonnes pour les autorisations de vols professionnels qu'elles délivrent : devenues ponctuelles, quand elles pouvaient être pluriannuelles.
Et depuis le début de l’année, un Conseil pour les drones civils travaille à structurer la filière. Mené par la DGAC, il rendra ses premières conclusions le mois prochain.Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale a lui dressé ce mercredi un premier bilan des projets de lutte anti-drones qu'il coordonne. Et selon le journaliste spécialisé du Monde Jean-Michel Normand, cette autorité qui dépend de Matignon « risque d'avoir du pain sur la planche pour assurer la coordination des multiples projets en cours ».
Des infractions régulées sur les réseaux sociaux par des dronistes !
Opérateur agréé de drones dans le sud de la Vendée, Alexis Texier est un passionné qui en a fait son métier. Filmer, photographier sur ses terres natales, quand un vol d'hélicoptère pour ses images lui coûterait 1.700 euros de l'heure, avec des contraintes météo et techniques bien moins importantes. Mais il constate sur Youtube et dans sa région des entorses quotidiennes aux règles, y compris de la part de grandes maisons de productions ou chaînes de télévision. Car selon lui, « la réglementation est peu contrôlée et difficilement contrôlable ». Les réseaux sociaux servent alors à la communauté droniste à alerter les contrevenants, quitte à signaler aux autorités leurs dérives :
L'an dernier, pour la première fois en France, un individu a été poursuivi en justice pour "mise en danger de la vie d'autrui" et "non-respect de la réglementation aérienne" après un survol de drone sans autorisation. Ce jeune entrepreneur de 18 ans spécialisé dans ces images avait filmé sa ville de Nancy sans solliciter la Préfecture. Hors, il agissait en zone peuplée et avec une caméra. Et il a écopé de 400 euros d'amende après avoir accepté de « plaider-coupable ». > Lisez à ce sujet "L’essor de l’utilisation des drones à usage civil et la réglementation", par l'avocate Betty Sfez.
Les drones et nos vies privées
Fin 2013, dans sa lettre innovation et prospective, la CNIL s'interrogeait déjà sur les enjeux de cet essor pour nos vies privées et nos libertés. Et si l'on passait à une vidéosurveillance mobile généralisée ? Son secrétaire général, Edouard Geffray parlait d'un cadre de régulation à créer, également au plan international. Dans son rapport 2014, la CNIL revient largement sur les drones (p.24), notamment les DIY (do it yourself, ceux faits maison) et révèle être de plus en plus sollicitée par des particuliers et des sociétés à ce sujet. Écoutez Edouard Geffray. Il évoque notamment la possibilité d'immatriculer les drones pour permettre à chacun de savoir s'il a été filmé à son insu :
« Notre objectif est de mettre en place une qualification professionnelle. »
Vous devez à sa société les célèbres images de l'émission "Des racines et des ailes". Mais Moïse Rogez s'est aussi lancé via "Pixiel" dans la construction de ces aéronefs télépilotés (ou UAV : Unmanned Aerial Vehicle) et dans la formation, avec l'Ecole des métiers du drone. Basée à Nantes, elle vient d'ouvrir 5 autres antennes, dont une à Paris, et elle devrait former 500 personnes cette année, contre 150 l'an dernier. Aujourd’hui, on compte en effet pas moins de 200 applications différentes pour ces engins : dans l’agriculture, la topographie, la cartographie, les grands chantiers ou encore la sécurité ! Et on l’a vu récemment au Népal pour l’humanitaire, ou à New York, pour un graffiti géant (voir la vidéo).
D'ici 3 à 5 ans, la filière pourrait créér 20.000 emplois. D'où la nécessité d'apprendre au mieux ces métiers et de bénéficier d'une reconnaissance officielle, grâce notamment à un diplôme, à l’étude actuellement :
Écoutez aussi : - La définition du drone d'Olivier Tesquet , journaliste à Télérama, dans l'Alphabet Numérique, proposé chaque dimanche par Frédéric Martel (26/04) :
L'analyse du symbole du drone, par Paul Guermonprez, l'auteur de "Les drones débarquent !" (FYP). Entretien de novembre dernier :
Enfin, découvrez l'un de nos studios et ses environs grâce à un drone !
Bibliographie
Les drones débarquent !FYP, 2014
Les drones aériensCépaduès, Toulouse, 2014
Les drones : la nouvelle révolutionEyrolles. Collection Serial makers, 2014
Théorie du droneLa Fabrique, 2013
Drones : l'aviation de demain ?Privat SAS, 2014
- secrétaire général de la Fédération professionnelle du drone civil
- DGRH des ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation
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