Trop de films français au Festival de Cannes, ou seulement pas les bons ?
Peu de polémiques pré-cannoises cette année. Seulement une affiche qui titille (celle du Love de Gaspar Noé), et une sélection qui étonne, entre pléthore de films français et absence de la compétition du favori Desplechin...
“Il arrive souvent qu’un film soit précédé par une polémique , constate dans Transfuge François Bégaudeau à propos d’American Sniper , sur lequel il revient trois mois après sa sortie. Ça se passe avant. A côté – de la plaque. Rien à voir. Rien vu. La polémique, ce dieu de la presse papier et numérique, s’articule toujours en termes moraux , estime-t-il. Il ne s’est jamais vu, pour s’en tenir au cinéma, qu’une polémique porte sur l’usage du zoom au moment clé d’un thriller. La polémique se fiche de la forme. En cela elle est la ruse trouvée par le chœur des commentateurs pour parler d’art sans en parler. Le dernier point de connexion entre le journalisme et l’art, avant divorce définitif.”
Champagne !
Quelles polémiques préalables concernant le festival de Cannes cette année ? Pas grand chose à vrai dire… Une affiche, peut-être, “l'une des affiches du nouveau film de Gaspard Noé, Love, projeté le 20 mai au Festival de Cannes lors d'une séance spéciale à minuit et demi, [qui a fait, rapporte Le Parisien], un énorme buzz sur les réseaux sociaux. On y voit le sexe d'un homme en érection et en pleine éjaculation, avec, en arrière-plan, un sein de femme. Un cran de plus dans la provocation après un autre visuel qui dévoilait en plan serré un baiser à trois entre un homme et deux femmes. Depuis Irréversible avec Monica Bellucci et Vincent Cassel, qui avait secoué la Croisette avec une séquence de viol de vingt minutes, le Français a l'habitude des thèmes sulfureux. Cette fois, Love raconte le parcours d'un homme qui se souvient de sa plus grande histoire d'amour, ponctuée de multiples jeux sexuels et d'excès en tous genres. L'affiche laisse présager une séquence torride. Selon l'entourage des producteurs, ces images auraient fuité alors qu'elles n'étaient pas destinées au public, mais à un marché international de prévente du film. Dévoilée sur un compte Twitter, l'affiche en question a valu à Vincent Maraval, patron de Wild Bunch, producteur et distributeur du film de Gaspard Noé, ce commentaire sur la Toile : « Love à Cannes, champagne ! »”
Un symptôme et une menace
Ceci mis à part, il a fallu, pour polémiquer, se contenter de commenter la sélection, et trouver par exemple, comme Jean-Michel Frodon sur Slate.fr , qu’il y a trop de films français à Cannes. “Jamais au grand jamais le nombre de film français n’avait été aussi élevé , estime-t-il. Assurément, le cinéma français est un des plus créatifs du monde, et il mérite une place de choix. Mais qu’un festival français lui taille une telle part du lion est à la fois un symptôme et une menace. Le phénomène est le symptôme d’une trop grande proximité des sélectionneurs avec l’industrie française du cinéma, industrie qui déploie toute sa puissance d’influence pour que ses produits soient sélectionnés, ce qui est tout à fait naturel. La menace est que les créateurs et producteurs du reste du monde en viennent à se détourner de ce rendez-vous cannois, aujourd’hui encore le plus prometteur en matière de reconnaissance artistique et de dynamique commerciale.”
Une étonnante absence
Trop de films français, mais pas les bons, puisque nombre de commentateurs ont regretté l’absence en compétition des Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin, alors qu’il était donné favori. “De quoi Desplechin en compète a-t-il été puni ? , s’interroge Philippe Azoury dans Grazia. D’avoir forcé la main à Thierry Frémaux ( le directeur artistique du festival, qui déteste ça) en décidant d’une sortie en plein raout cannois sans même avoir la politesse d’attendre le verdict des sélectionneurs ? Le cinéaste a-t-il payé pour les polémiques des années passées, où les mêmes qui réclament aujourd’hui Desplechin en compète se plaignaient hier d’une sélection qui ne savait pas faire de place aux femmes ? Lescure (tout nouveau président du Festival) et Frémaux ont-ils voulu marquer leur première édition ensemble par le signe d’un renouvellement de génération ? En laissant échapper Trois souvenirs de ma jeunesse, la sélection officielle a-t-elle joué avec le feu, offrant une de ses meilleurs armes à sa rivale (la Quinzaine des Réalisateurs, qui elle a sélectionné le film) ?”
"Le temps corrige les excès"
« Le statut réel et symbolique de la Quinzaine est complexe , répond Thierry Frémaux dans une interview accordée à Aurélien Ferenczi, sur le site de Télérama. Créée en 1969 contre le Festival “officiel”, elle s’en nourrit pourtant et le Festival l'aide même financièrement. De fait, la Quinzaine s'est toujours montrée ambivalente à l’égard du Festival de Cannes. Et c’est dans l’ADN des délégués de la Quinzaine de se faire les communicants d’eux-mêmes pour susciter la bienveillance d’une partie de l’opinion. Leur politique de communiqués de presse, où, au coup par coup, l’on vient dire l’importance des prises, a toujours relevé d’un comportement de pêcheurs marseillais. Olivier Père, pour mieux se féliciter de présenter Tetro , que nous n’avions pas retenu en compétition, avait dit que c’était le meilleur film de Coppola. Mieux que ses deux palmes d’or, Conversation secrète ou Apocalypse Now , pour ne pas évoquer les trois Parrain ? Bon, le temps corrige les excès mais sur le coup, ça marche sur quelques amateurs » , se gausse Thierry Frémaux. Concernant l’absence en compétition des Trois souvenirs de ma jeunesse , il s’explique : « C’est une œuvre de grand metteur en scène, qui continue à placer Desplechin au sommet du cinéma français. Le film est resté dans nos listes jusqu’au bout mais peu à peu s’est dessinée l’idée d’un fort renouvellement en compétition. Arnaud est venu pour quasiment tous ses films à Cannes. On ne peut nous reprocher de prendre toujours les mêmes et dans le même temps s’étonner qu’on renouvelle. […] Je voudrais dire d’ailleurs qu’Arnaud Desplechin l’a parfaitement compris, et admis. Il s’est admirablement comporté, et ceux qui s’offusquent qu'il ne soit pas en Sélection officielle ne respectent pas la Quinzaine, ne respectent pas son film et ne le respectent pas lui. Il faut être heureux que le film soit à Cannes, et ça va très bien se passer. » En attendant une nouvelle polémique, à suivre à partir de demain…

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