Affaires à suivre
Pour commencer, quelques rebondissements dans certaines affaires dont nous avons traité ici. La semaine dernière, dans cette revue de presse, j’avais évoqué la mobilisation générale du milieu du cinéma contre un amendement gouvernemental adopté à l’Assemblée nationale, qui plafonnait toutes les taxes affectées au organismes publics en général, et au Centre national du cinéma en particulier, les excédents étant reversés au budget de l’Etat. Crainte de la capacité de nuisance médiatique des cinéastes, ou alors sa cinéphilie toute récente qui l’a rendu sensible aux arguments du milieu ? Toujours est-il que le président de la République, recevant lundi de la semaine dernière à l’Elysée les professionnels du cinéma (ARP, BLIC, BLOC, SACD et UPF), leur a déclaré, selon le quotidien Le Monde : « Je n’assume pas » . « Le chef de l’Etat, écrit Alain BEUVE-MERY, a affirmé que c’est dans les périodes de crise qu’il faut maintenir les aides à la culture. Techniquement, c’est lors de l’examen du texte contesté au Sénat qu’un contre-amendement devrait être proposé. La gauche, désormais majoritaire au Sénat, s’est d’ailleurs déjà opposée à ce texte, lors du vote à l’Assemblée nationale. »
Ça semble bien se terminer de ce côté là, c’est évidemment plus compliqué dans un autre cas évoqué déjà deux fois dans cette revue de presse : le sort réservé par leur pays aux cinéastes iraniens. Dans un article, toujours du journal Le Monde , titré "L’Iran, pays où les cinéastes sont libres et joyeux". Le critique Jacques MANDELBAUM raconte, pour y avoir assisté, « la scène, ubuesque, qui s’est déroulée à Paris le mercredi 26 octobre à 16 heures, au centre culturel d’Iran, émanation de l’ambassade de la République islamique. De passage dans la capitale, le vice-ministre de la culture iranien chargé des affaires cinématographiques, Jawad SHAMAGHDARI, tient une conférence de presse. L’affaire n’a pas déplacé les foules, encore moins les journalistes. Sous l’œil vigilant d’un cameraman et de deux photographes qui mitraillent d’autorité chaque individu présent, une vingtaine de personnes, manifestement familières du lieu, sont là. Une telle désaffection étonne, alors qu’on embastille à tour de bras les cinéastes iraniens et que l’autorité suprême du régime en la matière vient manifestement allumer en France des contre-feux au mauvais effet de cette entreprenante politique culturelle. »
Après avoir rappelé en détail les noms de tous les cinéastes et autres personnalités du cinéma iranien arrêtés dont nous avons parlé ici, le critique du Monde poursuit son récit : « A priori, le vice-ministre avait du pain sur la planche. A posteriori, il s’avéra que tout était beaucoup plus simple qu’on ne le pensait. Esprit bien fait, M. SHAMAGHDARI montra clairement que « depuis la révolution islamique, qui a rétabli la libre expression en Iran, les cinéastes critiques du régime ont trouvé un accueil en Occident, tandis que les vrais cinéastes indépendants sont restés au pays. » Quant à l’obstacle qui entrave la propagation du véritable cinéma iranien, il est tout aussi précisément circonscrit : « La domination hollywoodienne et le lobby sioniste. » Appel fut enfin lancé aux intellectuels français pour qu’ils « remplissent leur mission sur la voie de la vérité ». Comme la salle tout entière communiait dans l’assentiment tacite de ce constat général, on se dévoua , on suppose que Jacques MANDELBAUM parle de lui, pour évoquer le cas particulier de Jafar PANAHI. La réponse témoigna d’une indéniable cohérence de pensée : « Je ne voulais pas entrer dans le sujet, mais puisque vous m’y obligez… M. PANAHI, qui est très riche et qui habite une grande maison, préparait un film présentant l’Iran comme un pays dangereux. Il a reçu beaucoup d’argent pour cela, avec le soutien du lobby sioniste. Il n’a pas fait amende honorable devant le tribunal et a donc franchi la ligne rouge. » Deux heures plus tard, le cœur oppressé, on embrassait le sol français, en pensant – quel autre mot ? – à l’héroïsme de PANAHI et de ses camarades » , conclut un Jacques MANDELBAUM encore sous le choc.
Même si ça n’a bien sûr rien à voir, personne ne va en prison pour ça, la France bénéficie elle aussi d’un système de censure, ou plutôt de « classification » des films. Les membres de la commission ad hoc, apprend-on dans Libération , « ont proposé d’interdire au moins de 16 ans le film "Sleeping Beauty", de Julia LEIGH (qui sort le 16 novembre, et dont nous parlerons dans doute à La Dispute ). Motifs invoqués : la « peinture de personnages à la dérive dans ses situations difficilement compréhensibles pour un public jeune, et susceptible de heurter ce dernier ». Michèle HALBERSTADT, la distributrice du film, s’insurge contre cette décision qu’elle juge « grotesque ». Elle a d’ailleurs décidé de faire appel auprès du ministre de la Culture, Frédéric MITTERRAND, en lui fabriquant à la hâte un DVD afin qu’il juge sur pièce. "Sleeping Beauty", précise Didier PERON dans Libération , présenté en compétition au Festival de Cannes sans créer le moindre remous, raconte comment une jeune fille, par manque d’argent, en vient à accepter des prestations rémunérées un peu particulières : au début, elle sert des dîners en tenue légère, puis elle finit par prendre des somnifères afin de se laisser caresser pendant la nuit par des vieillards amoureux de sa chair fraîche. […] L’un des membres ayant siégé à la commission, joint par Libération, précise qu’il s’agit là d’un « avis » consultatif. Le jugement de goût n’entre pas en ligne de compte, le critère étant exclusivement la « protection des mineurs » ; seul le ministre, en dernière instance, décide. L’interlocuteur semblait plus embarrassé , poursuit un Didier PERON taquin, quand on lui a demandé ce qui avait décidé la même commission (mais possiblement pas les mêmes membres) à interdire aux moins de 12 ans "Michael", de Markus SCHLEINZER (qui sort la semaine prochaine, et dont nous discuterons aussi ici), film glacial évoquant la séquestration d’un gamin de 10 ans par un pédophile, qui alterne gestes protecteurs et violences sexuelles. Long métrage, lui aussi, présenté à Cannes. Pour qui a vu les deux films, il paraît relativement cocasse que ce soit "Sleeping Beauty" qui écope de la plus sévère restriction, le sort d’une jeune fille majeure endormie étant jugé, si l’on comprend bien, plus difficile à supporter pour de jeunes spectateurs que celui d’un mineur en détresse, arraché à ses parents et devenu l’objet des manipulations d’un pervers autrichien. » , conclut le journaliste de Libération . Nous ne manquerons pas, bien entendu, de vous tenir au courant ici de la décision du ministre…
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