Angoulême et son Festival, une attraction perpétuelle
On ne s'ennuie jamais, avec Angoulême : alors qu'un parc d'attraction est à l'étude, les éditeurs exigent, avec menace de boycott, une refonte radicale du Festival International de la Bande Dessinée, menée par un médiateur. Et les auteurs se plaignent de ne pas avoir été associés à cette démarche...

“Selon La Charente Libre, citée par une brève de La Croix, la communauté d’agglomération du Grand Angoulême planche sur la construction d’un parc d’attractions autour des personnages de BD, Marsupilami, Lucky Luke, les Schtroumpfs… « Il sera destiné aux familles, aux enfants plus qu’aux ados », selon Jean-Patrick Demonsang, président de Parexi, la société privée censée devenir le gestionnaire du parc. Son emplacement n’a pas été précisé par les élus de l’agglomération qui cherchent des financements.”
Vrai ras-le-bol
Vous me direz, pourquoi un parc, alors qu’Angoulême, c’est l’attraction perpétuelle, on ne s’y ennuie jamais ? “A Angoulême, la polémique alimente la polémique, écrit ainsi Clémentine Gallot dans Libération : c’est une fronde qui s’élève désormais contre la direction du festival, incarnée par son délégué général, Franck Bondoux, et 9eArt+, la société organisatrice du FIBD. Dans un communiqué publié [le 24 février] intitulé « Sauvons le festival d’Angoulême », 41 éditeurs de bande dessinée du Syndicat national de l’édition et du Syndicat des éditeurs alternatifs demandent une « refonte radicale » menée par un médiateur nommé par le ministère, sous peine de suspendre leur présence à la prochaine édition de la manifestation. Le désaveu est total : les éditeurs soulignent « l’absence à la fois d’une vision partagée et d’une gouvernance efficace », « l’absence de femmes dans la liste des auteurs éligibles au grand prix », des auteurs « souvent mal traités par l’organisation », « l’opacité dans les sélections des prix »… On se souvient de la polémique, en janvier, sur l’absence de femmes dans le grand prix, dans une édition marquée par des débats autour de la diversité, de la précarité et soldée par une « fausse cérémonie » ridicule. Parmi les signataires, des incontournables de l’édition comme Dargaud, Delcourt ou Gallimard, ainsi que nombre de plus petits éditeurs, qui s’inquiètent : « Le festival est parvenu à décrédibiliser notre profession aux yeux du monde entier. » Et de conclure : « Le festival doit être repensé en profondeur, dans sa structure, sa gouvernance, sa stratégie, son projet et ses ambitions. »” “C’est un électrochoc d’une rare violence, et même inédit dans l’histoire du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, commente Didier Pasamonik sur ActuaBD. On imagine ce qui a motivé ce coup de poing sur la table : « C’est le ras-le-bol suite au dernier festival, le cumul de ses errements, dit Guy Delcourt, président de la commission BD du Syndicat National de l’Édition. Les éditeurs sont souvent mécontents, il y a toujours des petites choses qui ne vont pas, mais là, de manière récurrente, elles se sont aggravées, dans un bouquet d’erreurs, de maladresses qui ont entraîné l’insatisfaction. […] C’est cet ensemble d’éléments qui a provoqué chez les éditeurs, et je crois savoir chez les auteurs, un vrai ras-le-bol. » […] « J’apprends que le Grand Angoulême veut lancer un parc d’attraction autour de la bande dessinée, dit de son côté Jean-Louis Gauthey, président du Syndicat des éditeurs alternatifs qui regroupe des labels comme L’Association, Cornélius ou Ça et Là. C’est sans doute bien, je n’en sais rien. Mais on est en train d’imaginer une nouvelle structure alors que le festival n’a toujours pas de lieu pérenne, qu’on continue à construire des tentes. Ça m’interroge... Je pense que là-dessus aussi, il y a quelque chose qui a été longtemps réclamé par les éditeurs et qui n’a jamais eu de réponse localement. Je pense que s’il y avait une structure pérenne, si l’on ne dépensait pas des centaines de milliers d’euros pour monter des tentes chaque année, l’équilibre financier des éditeurs et du festival s’en trouverait amélioré. »”
Image polluée
“Comment va réagir la direction du festival, Franck Bondoux, le patron de 9e art+, en premier, qui avait déjà été contraint de monter en première ligne, il y a un mois, pour tenter (maladroitement) de sauver les meubles ?, s’interroge de son côté Erwann Tancé sur Comixtrip. Et la mairie, qui avait finalement mis de l’eau dans son vin malgré des relations compliquées avec le festival au moment où les collectivités territoriales envisagent la création d’un parc d’attraction consacré à la BD après l’échec de la fusée Tintin ? Et l’association qui regroupe les grands anciens (fondateurs et bénévoles) et qui a toujours son mot à dire dans ce qu’elle considère peu ou prou comme SON festival ?” On sait en tout cas déjà comment réagissent les auteurs : ils se plaignent de ne pas avoir été associés à l’appel. “« C’est très intéressant, de demander aux pouvoirs publics d’intervenir, réagit leur syndicat, le SNAC BD, sur le site Actualitté. Sauf que rien ne devra se faire sans nous, ou alors la version nouvelle ne comptera aucun auteur. C’est toujours pénible de découvrir des prises de position, sans que les représentants d’auteurs soient consultés. » D’autant plus que le FIBD vit avant tout par les séances de dédicaces proposées au public. « C’est à croire que tout le monde oublie que nous sommes également des partenaires financiers, dans cet écosystème. Bien entendu, nous adhérons à l’ensemble des critiques formulées : la fenêtre internationale que représente la manifestation est essentielle. Pourtant, il faut en finir une bonne fois avec ce qui fragilise la manifestation. Chaque année brasse son lot d’histoires, sur les organisateurs, le financement, la mairie, la Région, qui polluent l’image. » Cela, bien sûr, et la déconnexion qui s’est opérée, d’année en année. « Le FIBD est mobilisé autour de logiques commerciales, qui progressivement lui ont fait couper les ponts. Et puis, ils sont dans la logistique, l’organisation. Une fois encore, sans prendre en compte ce que les auteurs peuvent représenter. » De fait, la relation avec la manifestation, les auteurs regrettent ce qu’elle est devenue : « Soit désincarné, soit mal incarné, on perçoit combien la distance s’est installée. On s’y retrouve physiquement, avec le constat que l’on a perdu l’âme, centrée sur les créateurs. À l’exception des grands auteurs invités, certainement. » Et de souligner que si les éditeurs prennent les choses en main, « alors l’attention sera mobilisée autour des Grand prix, et encore moins sur les créateurs. […] Les auteurs ont des idées pour faire évoluer le Festival : y’en a marre que l’on pense à notre place. Voire que l’on pense sans nous. »” Je vous le dis, on n’a pas fini de s’amuser, parc d’attraction ou pas…
À découvrir
L'équipe
Une sélection personnalisée des contenus de FranceCulture.fr
- lisible sur ordinateur et sur mobile
- que vous recevez au rythme désiré et évidemment… gratuite.