Mozart 2.0
“Même sa maison de disques fourche et l’appelle parfois Sterling… Comme les millions de livres (et de dollars) que la jeune violoniste lui rapporte. Car Lindsey Stirling, jeune Américaine haute comme trois archets, fait danser Internet et les liasses de billets. En trois ans , nous apprend Eric Bureau dans Le Parisien, ses vidéos ont attiré 560 millions de spectateurs sur YouTube et plus de 2,2 millions de fans sur Facebook. On peut rester perplexe face à l’engouement planétaire suscité par sa musique instrumentale et ses mélodies répétitives qui mêlent classique et hip-hop, faisant rimer rythmes électro et Seigneur des anneaux. Mais il n’y a rien d’étonnant à ce que son premier album soit dès sa sortie quinzième des ventes et que sa prochaine tournée française passe par des Zénith. Il y a moins d’un an, sans disque ni promotion, cette musicienne de 27 ans et son violon 2.0 avaient déjà rempli l’Olympia. […] L’histoire de Lindsey Stirling, entamée dans la campagne californienne, a tout du rêve américain. « J’ai grandi dans une famille modeste, qui s’est saignée pour moi, racontait-elle [au Parisien] lors de son récent passage à Paris. Ils écoutaient beaucoup de classique et m’ont emmenée un jour voir un récital. J’ai eu un coup de cœur pour les violonistes, qui attiraient tous les regards… Des rock stars ! Mes parents m’ont payé un quart d’heure de cours par semaine, ils ne pouvaient pas faire plus. » En 2010, l’émission America’s Got Talent, l’équivalent outre-Atlantique de La France a un incroyable talent, aurait pu être son tremplin. Elle a viré à la douche froide. Le public l’adorait mais les jurés l’ont éliminée en quart de finale avec des commentaires cinglants : « Arrêtez de bouger tout le temps », « Vous n’êtes pas assez douée pour vous en sortir en virevoltant dans les airs et en essayant de jouer du violon en même temps », « Vous devriez jouer dans un groupe, ce que vous faites n’est pas suffisant pour remplir une salle à Las Vegas »…” Depuis, la jeune femme a posté Spontaneous Me sur YouTube : 15 millions de vues, Lady Gaga l’a prise sous son aile et sa webtélé est suivie par 4 millions d’abonnés.
Malgré l’humiliante déconvenue télévisuelle subie par Lindsey Stirling, le télé crochet reste le lieu incontournable pour assouvir notre soif inextinguible de nouveaux petits prodiges, à l’heure où la Cité de la musique célèbre Mozart enfant. “Fin décembre 2013, Amira Willighagen, 9 ans, est entrée dans l’histoire de la télé hollandaise en remportant la finale nationale du concours Got Talent, raconte ainsi Thierry Hillériteau dans Le Figaro. Sa prestation aux auditions, où on la voit chanter avec une voix prometteuse de soprano, l’air O mio babbino caro ( Ô mon papa chéri), extrait de l’opéra Gianni Schicchi, a fait le tour des réseaux sociaux. Elle totalise aujourd’hui sur YouTube 15,2 millions de vues… Soit quinze fois plus qu’Angela Gheorghiu dans le même morceau, pour le jubilé de la reine Beatrix en 2005 ! Des cas comme le sien « restent marginaux en télé, où il n’y a pas encore de marché à proprement parler pour les jeunes prodiges du classique », observe Bertrand Villegas, PDG du cabinet de consulting média The Wit. Mais ils tendent à se multiplier. En 2010, Jackie Evancho, 10 ans, avait terminé deuxième du show America’s Got Talent, toujours avec de l’opéra. Signée immédiatement par Columbia Records, elle est depuis devenue une star. A sorti cinq albums, tourné un film avec et sous la direction de Robert Redford, et même chanté devant Obama et ses filles pour l’illumination du sapin de Noël, à Washington. Si les jeunes voix lyriques constituent un terreau fertile pour la starification, « surtout dans les pays anglo-saxons baignés par la culture du crossover », le chant n’est pas le seul genre classique à attiser notre soif contemporaine du « jeune prodige » , poursuit le critique du Figaro. En Amérique du Nord, il ne se passe pas une année sans que la presse sorte un « nouveau Mozart ». Le dernier en date est pianiste et s’intitule Daniel Clarke Bouchard. Il a 13 ans, compose des morceaux de jazz à ses heures perdues, a remporté le premier prix du Concours de musique du Canada, s’est déjà produit au Carnegie Hall ainsi qu’aux côtés de l’Orchestre métropolitain, sous la direction du chef qui monte, Yannick Nézet-Séguin. En 2012, Tsung-tsung, un autre pianiste, de 6 ans celui-là, et originaire de Hongkong, créait le buzz dans le show télévisé d’Ellen DeGeneres, avec son interprétation – largement simplifiée – du Vol du bourdon transcrit par Cziffra. Il fut suivi l’an dernier par Ryan Wang, autre prodige de 5 ans qui s’est depuis produit au Carnegie Hall. En France, « où la notion même d’élimination dans les concours télévisés fait encore débat, l’exposition médiatique des jeunes prodiges reste tabou », commente Villegas. Un tabou que Vincent Panozzo, directeur de l’unité divertissement de Shine France, entend lever. L’homme, qui préside aux destinées françaises de The Voice ou Masterchef, vient de lancer avec France Télévisions l’appel à candidatures pour une nouvelle émission, Prodiges. « Nous avons fait le pari qu’on pouvait faire un grand show populaire avec du classique à une heure de grande écoute, en partant du postulat que les conservatoires étaient saturés et que l’intérêt des enfants pour la musique ou la danse classique était en France bien plus important qu’on ne le croit. » L’émission sera diffusée sur une seule soirée, courant 2014, sur France 2. « Les candidats retenus, dont l’âge n’excédera pas 16 ans, concourront devant un jury de professionnels, épaulés par l’Orchestre national de Montpellier et un grand corps de ballet. » Le tout restera familial et bon enfant, mais « avec les moyens et le savoir-faire de Shine », assure Vincent Panozzo, qui pour couper court à la polémique indique qu’il s’agit surtout de « valoriser la pratique du classique, et qu’on ne promettra pas à ces enfants de devenir des stars ».” Ben voyons…
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