Outrageons nos classiques
Pauvre Balzac ! “Ils ont osé , se lamente Mohammed Aïssaoui dans Le Figaro. La téléréalité contamine désormais la littérature. Et quitte à désacraliser les lettres, autant aller jusqu’au bout : les Editions du Net, organisateurs de cette « Star Ac » de l’édition, ont donné à leur initiative le doux nom d’« Académie Balzac ». Le pauvre Honoré doit se retourner dans sa tombe. Le principe de ce projet est calqué sur toutes ces émissions qui, depuis « Loft Story », pullulent sur nos écrans : vingt apprentis auteurs se retrouveront dans un château – avec piscine ! – et seront observés vingt-quatre heures sur vingt-quatre en train de rédiger un roman à 40 mains. Une présélection est prévue jusqu’en août. Seule condition exigée : avoir déjà écrit un livre. Ensuite, les élus auront un mois pour produire un chef-d’œuvre. Leur exploit sera diffusé sur le site Internet de ladite Académie Balzac. Les organisateurs rêvent tout haut d’une diffusion sur une chaîne de télévision. Faudra-t-il que les candidat(e)s possèdent d’autre talents que littéraires ?” “J’ai hâte de découvrir quel gloubi-boulga nous produira cette chiourme , s’amuse François Taillandier dans sa chronique littéraire de L’Humanité , « Ecouter les mots ». Une remarque m’est venue à l’idée , poursuit l’écrivain, en considérant le patronage sous lequel s’est placée cette spectaculaire initiative : Balzac. Il y a là quelque chose de paradoxal qui donne à songer. Balzac, en effet, écrivit seul, tout seul, avec sa plume et du papier, la centaine de romans qui constituent sa Comédie humaine, et dans lesquels se croisent quelque 2 500 personnages, saisis à divers moments de leur vie, sans que l’on ait pu trouver dans tout l’ensemble plus de trois ou quatre erreurs ou incohérences de faits et de dates. Personne ne l’a filmé, et je pense d’ailleurs que cela n’aurait pas eu grand intérêt. On aurait vu un gros bonhomme nerveux et mal peigné, les pieds dans un baquet d’eau chaude, versant par distraction la moitié de son café à côté de la tasse, maugréant sans doute de façon inaudible contre la besogne de galérien à laquelle le condamnaient d’une part ses incessantes dettes, d’autre part son génie visionnaire. Il finit d’ailleurs par en crever d’épuisement à cinquante et un an. Sans vouloir sombrer dans un romantisme excessif, je voudrais , conclut le chroniqueur littéraire de L’Humanité , recommander à nos futurs « lofteurs » d’y réfléchir quelques instants.”
Pauvre Shakespeare ! “Alors qu’on s’apprête à célébrer les 400 ans de [sa] mort, en 2016, l’éditeur britannique Hogarth , nous apprend une brève du Monde , a demandé à cinq romanciers réputés d’écrire des versions contemporaines, en prose, des pièces du grand dramaturge. Margaret Atwood a choisi La Tempête, Howard Jacobson s’attelle au Marchand de Venise, Jeanette Winterson au Conte d’hiver, l’Américaine Anne Tyler à La Mégère apprivoisée et le Norvégien Jo Nesbo à Macbeth. Ce dernier envisage de faire de son personnage un inspecteur de police des années 1970.”
Pauvre Molière ! “On nous aurait caché ça. A la fin de sa vie, le saint patron du théâtre français serait tombé amoureux fou d’un jeune homme de 17 ans , écrit Thierry Dague dans Le Parisien. Une idylle gay qui serait « le secret de famille du théâtre français », à en croire Jean-Marie Besset, auteur de la pièce Le Banquet d’Auteuil, qui défend cette thèse pour le moins iconoclaste. « Molière a eu deux grands amours, Armande Béjart, la fille de sa première compagne Madeleine, et Michel Baron, un acteur qu’il a recruté dans sa troupe en 1670, trois ans avant sa mort », assure Besset. […] Dans sa pièce, créée mi-janvier au Théâtre des 13-Vents de Montpellier, Jean-Marie Besset imagine un banquet réunissant chez Molière des artistes de son temps, comme Lully, Chapelle ou Dassoucy, qui multiplient les aventures masculines et se disputent les faveurs du fameux Baron. « Je m’inspire de faits avérés, revendique le dramaturge , notamment de deux biographies publiées quelques années après la mort de Molière, La Fameuse Comédienne et La Vie de M. de Molière . Baron lui-même, qui deviendra célèbre au XVIIIe siècle, confirmera cette passion secrète. » Molière gay, ou au moins bi ? « C’est difficile d’utiliser nos catégories actuelles, nuance Besset. Au XVIIe siècle, on ne parlait pas d’homos et d’hétéros. On opposait plutôt les libertins aux bons chrétiens. Même si le frère du roi ou Lully étaient ouvertement homosexuels, cela restait tabou à la Cour. » Une thèse loin d’être partagée par tous les historiens. Pour Georges Forrestier, professeur à la Sorbonne et grand spécialiste de Molière, « les textes cités par Besset sont un tissu d’inventions ! Baron a effectivement propagé cette rumeur, mais il était très vaniteux. » L’auteur de Tartuffe fréquentait bien les cercles libertins, mais, « à l’époque, libertin voulait dire athée, souligne Forrestier. Le fait que Molière soit ami avec Chapelle, homosexuel notoire, ne fait pas de lui un homo ! » Et d’ajouter : « Molière était une star, il vivait sous le regard de tous. Si cette histoire avait eu lieu, ses ennemis se seraient empressés de l’accuser de sodomite , comme on disait alors, ce qu’ils n’ont jamais fait. » Et si ce Banquet d’Auteuil, qui sera repris à Paris au Théâtre 14 en mars 2015, n’était pas juste un pied de nez de Jean-Marie Besset, vexé de ne pas avoir été renouvelé à la direction du Théâtre des 13-Vents ? , soupçonne le journaliste du Parisien. « Cette pièce signe mes adieux à Montpellier, se défend-il, mais je travaille dessus depuis des années, c’est ma vision du XVIIe siècle. » Certains universitaires volent à son secours, comme Chantal Meyer-Plantureux, chercheuse à l’université de Caen. « A partir du XIXe siècle, on a sanctifié Molière, on a gommé ce qui pouvait gêner, affirme-t-elle, mais des historiens très sérieux comme Roger Dufresne ou Cesare Garboli ont établi des preuves de cette liaison. C’est une évidence qui ne devrait plus être contestée aujourd’hui. Et qui ne change rien à son génie ! »”
Il ne manquerait plus que ça !
À découvrir

Pour vous abonner, saisissez votre adresse email.