“Si vous étiez aigris, vous diriez peut-être : la vie littéraire parisienne n’a jamais été aussi terne depuis, mettons, quatre siècles , écrivait le 10 avril Edouard Launet dans Libération. Pas de pamphlets, pas de propos enflammés sur l’avenir du roman. Pas d’empoignades entre écrivains ni même de débats sur la critique. Encore moins de duels ou de gifles. Rien. Tout le monde s’en fout. Les chroniqueurs roupillent, les buvettes de Saint-Germain n’accueillent plus que des touristes, les patrons de l’édition n’ont d’autres préoccupations que le fla-fla numérique, Paris s’ennuie. Ce qui, aujourd’hui, tient lieu de littérature est un substrat sur lequel on pourrait éventuellement faire pousser du trèfle. Vous auriez tort, bien sûr, de dire des choses pareilles” , reconnaissait le chroniqueur littéraire. Et de fait, lisait-on deux jours avant dans Le Figaro , “le débat est vif à l’Académie française, à quelques jours de l’élection au fauteuil de Félicien Marceau. Les partisans de Gérard de Cortanze, d’Alain Finkielkraut et des autres postulants affinent en secret leurs arguments en faveur de leur candidat. […] En dépit de ce qui a été écrit ça et là, aucun des académiciens n’a, à ce jour, fait publiquement état de sa préférence, assurait alors Le Figaro , fidèle à l’adage qui veut qu’une élection soit toujours la veille imprévisible et le lendemain inexplicable.” Le lendemain, faute d’expliquer, la presse ne s’est pas privée de commenter l’élection d’Alain Finkielkraut au fauteuil 21 par 16 voix sur 28. “Huit bulletins ont été barrés d’une croix en signe de désaveu, après une polémique qui a enflammé les esprits , note ainsi Frédéric Joignot dans Le Monde. Il y a eu a-t-on appris des « éclats ». Quelques académiciens, dont une académicienne, ont fait savoir le 3 avril qu’ils désapprouvaient sa candidature, jugeant le philosophe trop « réactionnaire », parlant d’une personnalité « clivante » – un adjectif pourtant absent du dictionnaire de l’Académie. L’un d’entre eux est allé jusqu’à dire que c’était le lepénisme qui entrait sous la Coupole. […] Alain Finkielkraut lui-même a déclaré sur France Info, après son élection : « Il est tout à fait normal d’avoir des opposants. Je regrette que cette opposition ait pris la forme d’une campagne politique et qu’on m’ait traité de réactionnaire. Parce que je ne vois pas au nom de quel progressisme je pourrais être classé au nom de la réaction. » Il a poursuivi : « Il y a cinquante ans, soixante ans peut-être, on se serait offusqué dans certains cercles de l’Académie contre un enfant de juif polonais avec un nom à coucher dehors. Aujourd’hui, on me reproche mon identité nationale. »” « Réactionnaire » ? “Réactif plutôt , estime Jean-Claude Raspiengeas dans La Croix. Alain Finkielkraut est un moteur à explosion, jamais en repos. Depuis près de trente ans, le samedi matin sur France Culture, au lieu d’animer en modérateur son émission « Répliques », il se jette sur le ring avec une fougue et une sincérité indignée. Ses adversaires, nombreux, acharnés, l’ont bien compris. Ils détournent ses propos, l’accusent de racisme, l’insultent, avec l’espoir de le voir déraper. Ce qui arrive, parfois, comme ses sorties sur des films qu’il n’a pas vus ou sa regrettable absence de nuances sur la question israélo-palestinienne. […] En l’accueillant dans leur illustre compagnie, les académiciens apaiseront peut-être, espère La Croix, cet esprit inquiet, ce cœur tourmenté, cette intelligence en quête de sublime.” “Espérons que ce combattant fourbu saura trouver un répit dans son nouveau fauteuil” , écrit pareillement sur le site du Nouvel Observateur David Caviglioli, qui rappelle que le nouvel élu “n’est pas le premier conservateur à entrer sous la Coupole. On peut, à bon droit, ne pas adhérer à sa vision cauchemardesque de la France contemporaine. On peut aussi, comme le fait son ami Pierre Nora, partager son constat sur « la désintégration de l’ensemble national », mais lui reprocher sa manière hâtive de l’imputer à l’immigration africaine. On peut encore déplorer que sa pensée s’articule de plus en plus autour d’une poignée d’obsessions dont il semble ne pas pouvoir se départir, comme l’existence d’une France musulmane qui le terrifie, ou certaines mutations sociales et culturelles qu’il accueille avec une crispation excessive. On peut enfin soupirer en constatant, livre après livre, émission après émission, article après article, que sa lassitude, sa nostalgie et son tempérament catastrophiste sont devenus les sources exclusives de sa pensée. Mais faut-il pour autant lui barrer la route en criant « no pasaran » ? Finkielkraut est réactionnaire, mais enfin les réactionnaires existent. On ne va pas les réduire au silence. Il y a peu, les académiciens élisaient Dany Laferrière. On a vu pire, comme repaire néo-fasciste.” “Torquemada des bobos, à cette différence près que c’est lui qui semble sortir de la torture” , pour Les Echos ; “symptomatique de cette dérive droitière qui frappe une partie de la classe intellectuelle comme de la société” , pour notre consœur en Dispute Marie-José Sirach dans L’Humanité , pour qui son élection “en dit long sur notre épique époque” ; “esprit libre” pour Le Figaro , qui n’a pas eu assez d’appel en une et de titres pour célébrer son élection : « Finkielkraut dans un fauteuil » , « Finkielkraut, immortel malgré tout » , « La victoire de la pensée » ; « l’homme qui ne sait pas ne pas réagir » , comme l’a dépeint Milan Kundera, a reçu au final une déclaration d’amour d’où on ne l’attendait pas. Dans Libération , Béatrice Vallaeys écrit : “Alain Finkielkraut n’est pas un homme ordinaire. Il n’est pas non plus un homme extraordinaire. Il est simplement un intellectuel qu’on trouve toujours là où on ne l’attend pas, qui semble prendre un malin plaisir à se mettre en situation de recevoir des coups. […] Heureusement, il y a chez Finkielkraut quelque chose d’émouvant : l’obstination à plaider envers et contre tout pour l’Amour. Il est amoureux de l’amour et cela ne date pas d’aujourd’hui. Et si l’amour durait (publié chez Stock en 2011) est un plaisir de lecture qui révèle un auteur réfugié dans un idéal sentimental tellement sophistiqué qu’il en devient presque démodé. Et qui le rend éminemment sympathique : tout compte fait, Finkielkraut gagne à être connu.” Ou comme dirait Claude Lelouch : « Salaud, on t’aime » …
Salaud, on t'aime !
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