Chevardnadzé parti, et avec lui une autre idée de la Russie
PAR LUDOVIC PIEDTENU
La mort d'Edouard Chevardnadzé, hier, à 86 ans, est à retrouver dans de nombreux titres de la presse de par le monde.Vos journaux retiennent sa "nouvelle pensée" qui a permis, en tant que ministre des affaires étrangères de Gorbatchev, "la transformation de l'Union Soviétique" . C'est ce qu'on peut lire, par exemple, dans l'International New-York Times qui ajoute, "il a vécu en novembre 1991 le dernier mois de l'existence de cette Union Soviétique. Précédemment, il avait convaincu les plus durs parmi son entourage de la nécessité d'un rapprochement avec les Etats-Unis" .Dans l'actualité, dans vos journaux ce matin, 23 ans plus tard, il est intéressant de lire cet interview dans le quotidien suisse Le Temps .Les propos d'un russe, un certain Vladimir, décrit par le journal, comme "sans doute l'un des hommes les plus puissants de Russie, proche du premier cercle du pouvoir entourant le Président Vladimir Poutine avec qui il partage son prénom." Il s'agit de Vladimir Yakounine, le patron des chemins de fer russes, le RZD."Il est à la tête d'1,2 million de fantassins, davantage que les généraux de l'armée russe" écrit Luis Lema dans Le Temps ."En mars dernier, à la suite de l'annexion de la Crimée par la Russie, les Etats-Unis ont inclus Vladimir Yakounine sur la liste des personnalités russes frappées par des sanctions. Mais les Européens n'ont pas suivi. Depuis qu'il a pris la tête de l'empire du rail russe en 2005, l'homme a obtenu la Légion d'honneur en France, ainsi que des titres honorifiques équivalents aux quatre coins de l'Europe et de l'Asie centrale. Pour les grands groupes industriels tels ABB, Alstom, Siemens ou Bombardier, les enjeux d'une modernisation des chemins de fer russes se chiffrent en milliards de dollars" explique le quotidien suisse.Vladimir Yakounine reçoit le journaliste à Sotchi, la ville olympique au bord de la mer Noire, "dans un ancien sanatorium transformé en hôtel luxueux, flanqué de piscines et de palmiers." Et comme l'écrit le journal "au-delà de ses activités d'industriel, Yakounine est particulièrement actif sur le plan politique." Voici quelques extraits tirés de cet interview.Sur les Etats-Unis par exemple :"Aujourd'hui, nous nous trouvons face à une puissance dominante qui impose aux autres pays et sociétés sa perception des valeurs humaines et son paradigme du développement économique. Cette puissance force le reste du monde." Autre sujet, l'Ukraine, qu'en dit Yakounine :"Faute de pouvoir battre la Russie autrement, il s'agit de monter une partie de la population russe contre l'autre, comme l'avait en son temps conseillé Otto von Bismarck et comme l'ont clairement affiché depuis lors certains cercles américains." Yakounine explique que les personnes qui ont manifesté sur Maidan à Kiev étaient manipulées. "Cette administration et les forces qui sont derrière elle, poursuit-il, sont celles du capital financier global. Ces forces occultes sont très puissantes et très résolues." Question du journaliste suisse : "Vous sentez-vous très proche de Poutine en ce qui concerne cette vision du monde ?" Réponse de Yakounine : "je suppose que nous sommes tous deux le résultat de l'évolution de la société soviétique et russe et que nous partageons les mêmes valeurs. Ce monde de domination qui a été construit par une seule grande puissance mène inévitablement à un clash de civilisations. Si les gens continuent d'obéir à cette domination, nous allons vers un monde très sombre. Nous devons créer une économie plus solide, mais aussi une société et un Etat plus forts, unifiés autour des valeurs chrétiennes. Il nous faut trouver de nouveaux partenaires dans le monde, parmi ceux qui ne veulent pas être anéantis par l'oligarchie financière que soutiennent les Etats-Unis. C'est aussi la seule manière d'éviter la guerre. Après tout, poursuit Yakounine, durant la Guerre froide, c'était bien le fait d'avoir un puissant arsenal nucléaire qui avait permis d'éviter une attaque contre l'URSS et ses alliés. Une Russie forte est un moyen de protéger le monde, affirme Vladimir Yakounine, car il s'agit de la seule puissance qui peut stopper à nouveau l'agression des Etats-Unis." Retour en arrière.23 ans plus tôt, Edouard Chevardnadzé, décédé hier, défendait une toute autre ligne.Dans vos journaux, vous lirez ce matin, qu'il était pendant 5 ans l'un des principaux artisans du désarmement.Dans les colonnes du Washington Post , l'ancien secrétaire d'Etat américain James Baker, qui a longtemps négocié avec son homologue soviétique, lui rend un hommage appuyé. "Chevardnadzé aura une place d'honneur dans l'histoire parce que lui et Gorbatchev ont refusé de soutenir l'usage de la force pour maintenir l'unité de l'Empire soviétique. Il a changé nos vies, cet homme est un héros" conclut l'américain James Baker.Dans l'International New-York Times , "ces deux hommes, Chevardnadzé et Gorbatchev ont révolutionné la politique étrangère soviétique". "En 1988, il était le premier officiel à Moscou à dire que le clash avec le capitalisme n'était plus un sujet", "un acte de véritable sédition" , a écrit Gorbatchev dans ses mémoires.Une vingtaine d'années plus tard, la diplomatie russe n'est plus la même. Elle reprend des couleurs, c'est vrai, et on l'a bien entendu dans les propos de Vladimir Yakounine, cette nouvelle diplomatie adopterait volontiers une ligne plus proche de celle que Chevardnadzé a combattu. L'homme est parti hier et avec lui, sans doute, les projets et l'avenir qu'il imaginait pour son pays.
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