Par Thomas CLUZEL
Et maintenant ? Voilà la question qui agite toute la presse depuis samedi dernier. Car si ce dernier week-end a à jamais changé l'Ukraine, on ne sait toujours pas à quel point, s'inquiète notamment l'hebdomadaire de Kiev LA SEMAINE UKRAINIENNE. Seule certitude, les titres enflammés à l'instar du quotidien berlinois DIE TAGESZEITUNG, avant hier, "vive la révolution!", ont disparu de la Une des journaux. A présent, tous les commentateurs s'interrogent : comment faire en sorte que l'enthousiasme à Kiev ne vire pas au cauchemar, ou pire, à la guerre civile, ainsi que le laisse entendre le quotidien madrilène EL MUNDO.
En fin de compte, le principal problème, comme c'est souvent le cas d'ailleurs dans une révolution, ce sont les vainqueurs, reprend l'hebdomadaire de Kiev, cité par le Courrier International. Maïdan 2013, dit-il, a été déclenché sans planification de la part des politiques, lesquels ont été pris par surprise. Et il en va de même du renversement subit du président. Voilà pourquoi, l'opposition politique n'offre aujourd'hui aucune direction claire et ne dispose surtout d'aucun plan d'action digne de ce nom, avec le risque désormais de sombrer dans les luttes intestines et les intrigues.
L'Ukraine est donc aujourd'hui à l'heure des choix, ainsi qu'en témoigne également la situation de plus en plus tendue à l'Est et au Sud du pays. Alors qu'à Kiev, le nouveau pouvoir tente tant bien que mal de s'organiser, la formation d’un nouveau gouvernement provisoire a d'ailleurs été repoussée hier à jeudi, tous les regards se portent à présent vers les régions périphériques et en particulier la Crimée. A en croire le quotidien de Sébastopol, SEVASTOPOLSKAÏA GAZETA, des habitants de la Fédération de Russie ont organisé une pétition sur Internet en faveur de la reconnaissance de l'indépendance de la Crimée et son intégration dans la Russie. On recenserait pour l'instant 20 000 signatures. Hier, une foule de quelques centaines de militants pro-russes s’est d'ailleurs rassemblée devant le parlement de la république autonome, pour exiger l’organisation d’un référendum. Et puis une autre pétition du même type circulerait, concernant cette fois-ci tout le sud-est du pays, sous le slogan : L'Est de l'Ukraine ne peut plus faire partie du même pays que l'Ouest ! Un jeu dangereux, qui aurait déjà rassemblé 80 000 signatures.
Avec l'affaiblissement du gouvernement central, il existerait donc aujourd'hui un risque réel que le pays se divise le long de frontières ethniques, religieuses et géographiques, précise à son tour THE INDEPENDENT à Londres. Moscou va-t-il profiter de la faiblesse temporaire de l’Etat ukrainien, pour encourager les factions séparatistes, interroge LE TEMPS de Genève ? Pour l'instant, le Kremlin se tait mais encourage le revanchisme à travers les télévisions d’Etat. A en croire les sondages publiées par les différentes chaînes, 56% des Russes considèrent aujourd'hui que la Crimée est un territoire russe. Et puis, Moscou, écrit UKRAINSKAYA PRAVDA se préparerait même à distribuer des passeports en masse aux habitants de la Crimée, comme il l'avait d'ailleurs déjà fait en 2000 dans les régions séparatistes de Géorgie, l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, deux régions annexées depuis par la Russie.
Ainsi, dans les quatre scénarios pour l'Ukraine envisagés cette semaine par le magazine russe L'EXPERT, aucun ne présume le maintien d'un Etat uni. Alors que faire pour éviter que l'Ukraine ne plonge dans le chaos ? Pour les Occidentaux, reprend le quotidien de Genève LE TEMPS, la première étape, la plus urgente, dit-il, consiste à envoyer un message sans équivoque à Moscou, en clair, condamner sévèrement tout soutien de la Russie à des visées sécessionnistes. Et puis, parce que la crise ukrainienne n’est pas que politique, le pays est aujourd'hui menacé par le défaut de paiement, la deuxième étape consiste à offrir un filet de secours. L'UE devrait accorder un crédit inconditionnel d'un montant de trois milliards d'euros permettant au pays insolvable de joindre les deux bouts jusqu'aux élections, suggère notamment le journal de Vienne WIENER ZEITUNG. Même analyse pour la FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG. Bruxelles, écrit le journal doit se montrer généreuse pour que les jours de chaos politique ne se transforment pas en chaos économique.
Problème, si ces derniers mois les Européens ont suivi c'est vrai avec enthousiasme les évènements ukrainiens, maintenant qu'ils reçoivent la facture, et bien ils se demandent s'il est vraiment raisonnable de soutenir un pays à problèmes qu'il sera difficile de stabiliser financièrement, nuance son confrère de Berlin DIE WELT.
La tâche de l’Occident est donc ardue, porter secours d’urgence à ce molosse endolori et tout à la fois, ne pas (re)tomber dans le piège qui consisterait à brusquer le Kremlin en lui donnant l’occasion d’affirmer son droit à une sorte de légitime défense, vis-à-vis de la partie russophone et russophile du pays. Voilà longtemps que l’Union européenne n’était pas confrontée à si rude défi, si tant est d'ailleurs qu’elle ne l’ait jamais été.
D'où la conclusion du SOIR de Bruxelles. L'Europe, dit-il, se doit aujourd'hui d'être à la hauteur du défi de ce moment historique. Et l'Europe se doit d'autant plus d'aider la démocratie qui va tenter de se mettre en place, qu'en se battant pour leur liberté, c'est aussi l'Europe que les Ukrainiens ont défendue. Au moment précis où tant de citoyens de l'UE ne croient plus aux vertus de l'Union, à Kiev, pour la première fois de l'histoire, des hommes et des femmes sont morts en brandissant le drapeau européen sous nos yeux.