Repères | C'est un rituel de la diplomatie mondiale en septembre de chaque année : chefs d'Etat et de gouvernement, diplomates et journalistes convergent à New York pour la nouvelle session de l'Assemblée générale des Nations unies. Un moment qui reste très couru malgré les critiques faites à l'ONU.

La 73e session de l'Assemblée générale des Nations unies ne déroge pas à la tradition : l'édition de cette année a commencé le troisième mardi de septembre (soit le 18 septembre pour 2018) et le clou de l'événement est prévu la semaine qui suit, à l'occasion du débat général. Cette année, la grand-messe de la diplomatie mondiale devrait accueillir les représentants de 196 nations, dont 130 chefs d'Etat, et 2 000 à 3 000 journalistes du 25 septembre au 1er octobre.
Le grand défilé des dirigeants
La 73e session de l'#UNGA est officiellement ouverte depuis ce matin à New York. Suivez tous les événements en direct 👉https://t.co/aX3S4guiAupic.twitter.com/Ml0AyKFL5Z
— Nations Unies (ONU) (@ONU_fr) September 18, 2018
"C'est le Super Bowl de la diplomatie", résume en une formule le correspondant de CNN à l'ONU, Richard Roth. Quelques jours en septembre où New York devient la capitale du monde : "c'est un moment exceptionnel, la grand-messe de la diplomatie internationale", abonde Philippe Bolopion, ancien correspondant du Monde et de France Culture aux Nations unies. Aujourd'hui membre de l'ONG Human Rights Watch, il explique :
Tous les chefs d'Etat et de gouvernement du monde convergent au même endroit en même temps. C'est sans doute la plus grande concentration de dirigeants que l'on puisse observer sur la planète. La ville elle-même est transformée par l'événement : de nombreuses rues sont bloquées, on voit passer en permanence des convois de limousines encadrées de policiers qui vont et viennent entre l'ONU et les grands hôtels des alentours. L'Assemblée générale est l'endroit où il faut être pour les leaders du monde entier.
Philippe Bolopion, ancien correspondant de France Culture aux Nations unies
The United Nations has such great potential but right now it is just a club for people to get together, talk and have a good time. So sad!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) December 26, 2016
"Les Nations unies ont un si grand potentiel ! Mais aujourd'hui, ça n'est qu'un club pour des gens qui veulent être ensemble, papoter et prendre du bon temps. Triste !" - Donald Trump, le 26 décembre 2016.
Peu importe les reproches qu'ils adressent à l'ONU le reste du temps (voir les tweets de Donald Trump ci-dessus et ci dessous), les chefs d'Etat sont là : "C'est un moment irremplaçable, il y a assez peu d'occasions comme celles-là où l'on se retrouve tous ensemble avec la possibilité de régler ses problèmes", continue Philippe Bolopion. Et le rendez-vous se joue tout autant sur scène que dans les coulisses : "Il faut séparer ce qui appartient au théâtre de la vie diplomatique internationale - les grandes rencontres, les discours officiels, le décorum, le protocole, etc. - et les multiples rencontres qui sont organisées de manière très discrètes, loin des caméras, et qui permettent d'aborder tous les sujets."
The cheap 12 inch sq. marble tiles behind speaker at UN always bothered me. I will replace with beautiful large marble slabs if they ask me.
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) October 3, 2012
"Les carreaux bon marché derrière l'orateur à l'ONU m'ont toujours dérangé. S'ils me le demandent, je les remplacerai par de grandes et magnifiques dalles de marbre" - Donald Trump, le 3 octobre 2012
"En tant que journaliste, il faut bien sûr travailler sur ces deux dimensions", précise Philippe Bolopion.
Cette année par exemple, on peut s'attendre à ce que le discours de Donald Trump devant l'Assemblée générale soit extrêmement couvert par les médias, parce qu'à chaque fois, ce discours du président des Etats-Unis donne le "la" de la diplomatie américaine au reste de la planète... Mais les journalistes seront aussi intéressés par ce qui se déroule en coulisses : quelles négociations sur le futur de la situation en Syrie ? Comment les Etats-Unis vont utiliser cette Assemblée générale pour rallier davantage de pays contre l'Iran, y aura-t-il de nouveaux contacts entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sur la question nucléaire, etc. Le secret d'une bonne couverture journalistique de l'Assemblée générale consiste à ne pas rater les grands moments symboliques - qui restent parfois dans l'Histoire - sans négliger les négociations de l'ombre qui sont quelquefois beaucoup plus importantes.
Philippe Bolopion, ancien correspondant de France Culture aux Nations unies
Foire d'empoigne pour les feux de la rampe, mais le Brésil d’abord
Donald Trump lors de sa première adresse à la tribune de l'ONU en tant que président, le 19 septembre 2017 : discours dans lequel il avait menacé de détruire totalement la Corée du Nord de "rocket man".
A New York, toute la planète vous regarde mais il faut se dépêcher car l'attention du monde se détourne vite. "Les pays bataillent en coulisses pour essayer de parler le plus tôt, le premier jour et même le matin du premier jour si possible", souligne Philippe Bolopion, "Les pays les moins écoutés sont ceux qui parlent plus tard dans la semaine... Au bout de deux ou trois jours, il y a déjà une ambiance de fin de soirée à l'AG, tous les grands dirigeants sont repartis, les grands discours ont été prononcés et on bascule peu à peu dans le "business as usual", avec des discours un peu convenus et qui ne pèsent pas grand chose".
Pour parler en premier, certaines délégations ont le protocole de leur côté : le Brésil, d'abord, qui parle toujours en premier. La tradition remonterait à 1947 quand un représentant brésilien avait ouvert l'Assemblée, deux ans après la création de l'ONU, d'après Le Monde. Les deuxièmes à parler sont toujours les Etats-Unis, en tant que pays hôte du siège des Nations unies : en 2017, Donald Trump avait ainsi commencé son message en marquant son territoire, souhaitant un "welcome to New York !", sa ville natale, à tous les délégués (voir vidéo ci-dessus). Mais pour le reste, rien n'est écrit : "L'ordre d'intervention est basé sur le niveau de représentation, la préférence de chacun et d'autres critères tel que l'équilibre géographique.", est-il écrit sur le site de l'ONU. En 2017, le plus efficace dans la course à l'estrade avait été le président de la Guinée, Alpha Condé, troisième à parler. Après lui, s'étaient succédés la Présidente suisse, le Président slovaque, le Président nigérian, le Président tchèque, la Présidente du Liberia et le Président français, Emmanuel Macron, neuvième orateur dans la liste. A la fin de cette première journée, 32 chefs d'Etat étaient montés à la tribune.
Par ailleurs, afin de mettre toutes les chances de son côté, mieux vaut être haut placé : "Pour obtenir un ordre de passage dans les premiers, il faut être représenté au plus haut niveau, par un chef d'Etat ou de gouvernement.", ajoute Philippe Bolopion, "les pays représentés par un simple ministre des Affaires étrangères sont certains d'être relégués à la fin des interventions. Il faut aussi se lever tôt le jour où l'ONU ouvre les inscriptions". En général, la liste des intervenants s'ouvre à la fin du mois de mai, précise l'ONU sur son site.
Grandeur et petitesse d'un grand oral de 15 minutes
Extrait du journal télévisé de l'ORTF en 1968 à propos de l'épisode de la chaussure de Khrouchtchev à l'ONU en 1960. Episode aujourd'hui contesté (Khrouchtchev n'aurait pas utilisé sa chaussure), l'INA y a consacré un sujet.
"La salle de l'Assemblée générale est un endroit magnifique, très austère, aux allures de cathédrale", raconte l'ancien journaliste Philippe Bolopion, "le chef d'Etat est face à ses pairs, face aux yeux du monde entier, c'est la tribune rêvée pour donner un grand discours". L'histoire des dernières décennies est ainsi riche de ces instants captés dans le temple de l'ONU : le Premier secrétaire de l'URSS Nikita Khrouchtchev tapant sur sa table en 1960 face au délégué philippin fustigeant la tutelle de Moscou sur les pays de l'Est, Fidel Castro la même année prononçant le plus long discours, à ce jour, de l'histoire de l'Assemblée (4h29 pour expliquer le sens de la révolution cubaine), Yasser Arafat en 1974, premier représentant de l'OLP invité à s'exprimer à la tribune : "Aujourd’hui, je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et d’un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main. Je le répète : ne le laissez pas tomber de ma main", Nelson Mandela en 1990 demandant la levée des sanctions contre l'Afrique du Sud pour marquer la fin de l'apartheid, George W. Bush en 2002 annonçant à mots couverts l'invasion de l'Irak quelques mois plus tard, etc.
George W. Bush à l'ONU le 12 septembre 2002 menaçant l'Irak d'une invasion.
L'Assemblée générale est ainsi devenu le théâtre des confrontations et des coups d'éclat diplomatiques, reflets des tensions géopolitiques et des conflits de chaque époque ; et ce malgré les contraintes imposées par l'Institution. Car la machine onusienne ne facilite pas la tâche de ses orateurs : délais contraints, protocole compassé, ton impersonnel, formules répétitives... Chaque débat général comporte aussi un puissant pouvoir soporifique. L'ONU le précise sur son site : le temps alloué à chaque orateur est censé être limité, 15 minutes pas plus. "Mais les chefs d'Etat n'ont pas l'habitude qu'on leur dise d'arrêter de parler", observe Philippe Bolopion, "et certains n'hésitent pas à déborder". Fidel Castro en est le meilleur exemple mais plus récemment, le colonel Kadhafi s'est aussi illustré dans l'exercice en confisquant l'estrade pendant 1h45 le 23 septembre 2009 :
Les orateurs ont devant eux des petites lumières verte, orange et rouge, censées les prévenir quand leur temps de parole touche à sa fin ou est dépassé mais Kadhafi n'en a pas tenu compte et s'est lancé dans une longue diatribe qui avait duré une éternité alors que derrière lui, de nombreux chefs d'Etat attendaient patiemment de prendre la parole.
Philippe Bolopion, ancien correspondant de France Culture aux Nations unies
Mais nul besoin d'être Castro ou Kadhafi pour dépasser les bornes, Donald Trump ou Emmanuel Macron récemment ont aussi fait trop long : 43 minutes pour le Président américain en 2017 et 36 minutes pour le Président français... Les suivants sont priés de s'adapter, et souvent, les sessions débordent sur la pause du déjeuner ou du dîner.

Le protocole, quant à lui, est invariable. Le président de la session invite l'orateur à entrer : "L'Assemblée va écouter une adresse donnée par son excellence, Donald Trump, président des Etats-Unis d'Amérique. Je demande au protocole d'escorter son excellence." L'orateur s'avance alors et s'assied sur un lourd fauteuil derrière l'estrade puis le président de la session reprend (et répète) : "Au nom de l'Assemblée générale, j'ai l'honneur d'accueillir aux Nations unies son excellence Donald Trump, président des Etats-Unis d'Amérique, et je l'invite à s'adresser à l'Assemblée." La même scène se répète à chaque fois.
La suite est moins connue et médiatisée mais les pays disposent aussi d'un droit de réponse : c'est la raison pour laquelle on appelle ce rendez-vous le débat général. "Mais c'est un débat chaotique et confus", explique Philippe Moreau Defarges, chercheur à l'Ifri, "l'Assemblée générale compte 193 pays membres et tous disposent de ce droit". Ils le font en fin de journée sans monter à la tribune et en restant à leur place dans la salle ; "ces réponses passent inaperçues le plus souvent".
Coup de projecteur sur une Assemblée ignorée le reste de l'année

Mais en dehors de ces quelques jours de frénésie en septembre de chaque année, l'Assemblée générale de l'ONU existe dans un certain oubli. "L'Assemblée générale est l'un des six organes principaux des Nations Unies, le seul dans lequel tous les Etats membres ont le même pouvoir ; un état, une voix", peut on lire sur le site de l'ONU. Que l'on soit puissant ou misérable, le principe qui prévaut ici est donc l'égalité : les Etats-Unis, qui versent la plus forte contribution au budget de l'ONU (22% soit 610 millions de dollars en 2017), n'ont pas plus de poids que la France, 5e contributeur avec presque 5% du budget (134 millions de dollars), la Belgique (moins de 1% soit 24 millions de dollars), l'Afghanistan (0,006% soit 166 00 dollars), ou encore Vanuatu (qui verse la plus petite part possible avec 0,001% du budget, soit 27 000 dollars, comme 32 pays en tout). "L'Assemblée générale est l'organe démocratique de l'ONU où siègent tous les pays membres", explique Philippe Moreau Defarge, "C'est très différent du Conseil de sécurité, qui ne comprend que 15 pays, dont 5 sont permanents (Etats-Unis, Chine, Russie, France et Royaume-Uni) avec un droit de veto".
"Il est vrai qu'à l'ONU, le vrai pouvoir appartient au Conseil de sécurité : c'est là que les grandes décisions sont prises", renchérit Philippe Bolopion, "c'est le Conseil de sécurité qui a le pouvoir d'autoriser le déploiement d'opérations de maintien de la paix, d'imposer des embargos sur les armes ou des sanctions individuelles. Le rôle de l'Assemblée générale est beaucoup plus symbolique dans le système onusien : c'est une tribune utilisée par les Etats pour faire valoir leur point de vue. Il s'agit plus d'une tribune que d'un lieu de pouvoir".
En dehors de la rentrée de septembre, l'Assemblée générale a plusieurs rôles : l'instance vote le budget de l'Organisation et fixe le montant des contributions des Etats, elle élit les membres non permanents du Conseil de sécurité et les membres des autres conseils, elle nomme aussi le Secrétaire général (sur recommandation du Conseil de sécurité) et formule des recommandations (non contraignantes, à la différence du Conseil de sécurité) sur les grandes questions qui lui sont soumises. Les autres organes principaux de l'ONU sont le Conseil économique et social, le Conseil de tutelle, la Cour internationale de justice et le Secrétariat (voir détails sur la page de l'ONU).