Angela Merkel à Auschwitz : le souvenir des crimes nazis demeure "inséparable" de l'identité allemande
Angela Merkel s'est rendue pour la première fois depuis qu'elle est chancelière au camp d'Auschwitz, symbole de l'Holocauste, où 1,1 million de personnes sont mortes, exterminées en masse. Une visite dans un contexte de montée de l’antisémitisme et des violences d’extrême-droite en Allemagne.
Le déplacement d'Angela Merkel à Auschwitz, ainsi qu'au camp voisin de Birkenau, a marqué ce vendredi une page d'Histoire. Ce fut sa première visite sur place en tant que chancelière et la première d'un chef du gouvernement allemand depuis 1995. Alors que l'antisémitisme resurgit en Europe, notamment en Allemagne par le biais de l'AfD, et que la disparition des témoins complique la transmission de la mémoire de la Shoah.
"Une responsabilité qui ne s'arrête jamais. Nous, les Allemands, le devons aux victimes et à nous-mêmes"
"Se souvenir des crimes, nommer leurs auteurs et rendre aux victimes un hommage digne, c'est une responsabilité qui ne s'arrête jamais. Ce n'est pas négociable. Et c'est inséparable de notre pays. Etre conscient de cette responsabilité est une part de notre identité nationale", a souligné Angela Merkel ce vendredi à Auschwitz, dans un discours d'environ quinze minutes. Vêtue de noir, la voix émue, elle a confié : "Je ressens une honte profonde face aux crimes barbares commis ici par des Allemands". "Je m'incline profondément" devant chacun de ceux qui avaient "un nom, une dignité inaltérable, une origine, une histoire".
La chancelière a rappelé que le camp, de concentration et d'extermination, situé dans l'actuelle Pologne, était dans une région "annexée en octobre 1939 par le Reich" et il fut "administré par les Allemands". "Il est important de nommer clairement les criminels. Nous, les Allemands, le devons aux victimes et à nous-mêmes", a-t-elle insisté là où ont été exterminés des juifs mais aussi des tziganes, des homosexuels ou des prisonniers de guerre soviétiques. Là où aujourd'hui, "Il n’est pas facile de me tenir ici et de m’exprimer devant vous", a reconnu celle qui a multiplié les gestes forts depuis son arrivée au pouvoir en se rendant à Ravensbrück, Dachau, Buchenwald, et au Mémorial de l'Holocauste de Yad Vashem, à Jérusalem.
Accompagnée par le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et par un survivant d'Auschwitz, Bogdan Bartnikowski, 87 ans, ainsi que des représentants de la communauté juive, celle qui est née neuf ans après la Seconde Guerre mondiale a alerté à propos de "la montée du racisme et la propagation de la haine", ainsi que de l'antisémitisme, dans le monde entier.
11h55 Minute de silence, dépôt de gerbes devant le « mur des fusillés »
— Ludovic Piedtenu (@LudovicPiedtenu) December 6, 2019
Merkel et Morawiecki se recueillent pic.twitter.com/cjxt4eXYw4
De répéter que "Pour combattre l’antisémitisme, l’histoire de ces camps d’extermination doit être partagée, elle doit être racontée".
Les deux précédents dirigeants allemands à s'être rendus sur la terre du Mal absolu furent Helmut Schmidt, en 1977, et Helmut Kohl en 1989 et 1995.
Un symbole fort pour la Fondation Auschwitz-Birkenau et pour Israël
Depuis dix ans, cette Fondation est chargée du site où furent assassinées quelque 1,1 million de personnes, dont un million de juifs, entre 1940 et 1945. Et c'est elle qui a invité Angela Merkel. Son directeur, Wojciech Soczewica, se dit "convaincu qu’une visite politique du plus haut niveau dans ce lieu joue un rôle très important." Il estime que :
Des gens comme des chefs d’Etat ou de gouvernement sont des modèles à suivre et ils sont regardés, écoutés. Et les mots, les mots peuvent émouvoir les gens. Je suis sûr que les mots peuvent être magnifiés par un endroit comme celui-ci… Et si nous voulons changer ces comportements sociaux et politiques qui sont très inquiétants en ce moment, alors une telle visite est essentielle pour rappeler ce qui s’est passé ici.
Le directeur de la Fondation Auschwitz-Birkenau insiste sur l’élément le plus important à ses yeux, dans lequel tous les Etats touchés par cette résurgence de l’antisémitisme devrait investir : l’éducation, en inculquant aux plus jeunes ce qu’a été l’holocauste. Angela Merkel l'a appuyé dans sa démarche en annonçant hier l'octroi de 60 millions d'euros à la Fondation.
€ 60 million will be donated to the Auschwitz-Birkenau Foundation. The Endowment administered by the Foundation generates income that finances preservation at @AuschwitzMuseum. The decision increases German donation to the Fundation to € 120 million. | https://t.co/djuAEodx9Khttps://t.co/s3k1l0mdSb
— Auschwitz Memorial (@AuschwitzMuseum) December 5, 2019
L'ambassade d'Israël à Berlin a de son côté salué sur son compte Twitter "un pas important et significatif pour le maintien de la mémoire de la Shoah".
Wir begrüßen die Ankündigung von Bundeskanzlerin Angela Merkel, die Stiftung Auschwitz-Birkenau mit 60 Millionen Euro zu unterstützen. Dies ist ein wichtiger und bedeutsamer Schritt zum Aufrechterhalten der Erinnerung an die Shoah. https://t.co/AhKGgmH9GH
— Botschaft Israel (@IsraelinGermany) December 6, 2019
Le nombre d’acte antisémites a atteint un chiffre record l’an dernier en Allemagne
Cette visite intervient dans un contexte de montée de l’antisémitisme et des violences d’extrême-droite en Allemagne. Aux statistiques souvent sous-évaluées, plusieurs chercheurs ajoutent qu’une parole de haine s’est libérée dans le pays, une digue a sauté.
Le parti d'extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD, Alternative für Deutschland) a d'ailleurs renouvelé samedi dernier sa direction bicéphale, avec un nouveau coprésident et député du Bundestag qui bénéficie du soutien de la frange la plus radicale de cette formation enracinée à l'Est du pays. L'AfD est devenue il y a deux ans la première force politique d’opposition en faisant son entrée au Parlement, en libérant une parole qui depuis la fin de l’Allemagne nazie était devenue taboue. Cela fait deux ans que l’aile dure du parti, qui ne pesait guère que 30% des adhérents, gagne en légitimité au fur et à mesure que cette ligne prouve son efficacité électorale. Ici, comme dans les rangs des mouvements islamophobes PEGIDA, en Saxe, et du plus récent Thugida, en Thuringe, on retrouve pêle-mêle des antisémites, des révisionnistes et des négationnistes, ou bien encore des complotistes, des racistes et des xénophobes.
Au point que l'AfD, désormais placé sous la surveillance des services de renseignement et de protection de la Constitution, risque d’ici le printemps l’interdiction pure et simple.