Barbares sanguinaires, drakkars et casques à cornes : cinq clichés sur les vikings
Devenus héros populaires de séries télévisées, les Vikings jouissent d'une étrange réputation. Ne sont-ils vraiment que des barbares sanguinaires et des femmes guerrières, venus mettre à feu et à sang les côtes de l'Europe sur leurs drakkars ? C'est un peu plus compliqué que ça.

Leur réputation les précède : barbares sanguinaires, surgissant de leurs drakkars pour tout piller et détruire sur leur passage, les Vikings se seraient imposés par la force au cours de leurs raids le long des côtes d’Europe. Ils étaient pourtant bien plus que ces féroces guerriers sans foi ni loi qui nous sont souvent dépeints.
Les Vikings, des barbares sanguinaires….

Si cette figure du Viking en pirate assoiffé de sang a tant marqué l’imaginaire, c’est essentiellement parce qu'il a été décrit de la sorte au cours des derniers siècles par les prêtres et moines qui ont fait le récit de leurs incursions. La première “invasion” viking à avoir durablement marqué l’histoire, d’ailleurs considérée par certains historiens comme le début de l’”époque viking”, prend place le 8 juin 793 : les nordiques pillent alors le monastère de Lindisfarne, dans le Nord-Est de l’Angleterre. L’attaque inquiète d’autant plus le monde chrétien qu’il lui est donné une interprétation morale, sorte de punition divine. Le savant et poète Alcuin raconte ainsi que “cela n’est assurément pas arrivé par hasard”, comme le relate Anders Winroth dans son ouvrage Au Temps des Vikings :
Soit c’est le début de grands malheurs, soit les péchés des habitants l’ont exigé. Cela n’est assurément pas arrivé par hasard, mais c’est le signe que quelqu’un l’a bien mérité.
Les Vikings n’hésitent d’ailleurs pas à livrer une guerre sur le plan psychologique, ce qui contribue à leur sinistre réputation, comme le relate un moine dans La Translation de Saint Germain. Il conte ainsi comment des Vikings, lors de l’attaque sur Paris en 845, capturèrent un contingent de cent onze hommes du roi Charles II le Chauve, et les pendirent sur la rive opposée de la Seine, pour “insulter et rire du roi, de ses généraux et de tout le peuple chrétien qui était là”. Pas étonnant donc, que l’image de barbares sanguinaires ait perduré au fil des siècles, d’autant qu’elle n’était pas complètement usurpée.
Pourtant, avant d’être des combattants, les Vikings étaient des marchands et des explorateurs, raconte Anders Wiroth :
La Scandinavie a toujours pris part aux échanges commerciaux sur de longues distances avant et après l’âge d’or du commerce du temps des Vikings. Au milieu du VIe siècle, l’historien byzantin Jordanès rapporte que les Suédois “font passer à travers des nations innombrables les peaux de martres".
En réalité, les populations scandinaves sont composées avant tout de quelques paysans, de pêcheurs et surtout de commerçants. Marins accomplis, les Scandinaves ont installé des comptoirs commerciaux dans toute l’Europe du Nord, le long de de la mer du Nord et de la mer Baltique, et ont ainsi créé un grand arc commercial d’échange nordique de l’Europe de l’Ouest à la partie orientale du califat. Ils échangent des fourrures, du bois, de l’ambre et de l’ivoire contre du vin et de l’argent, et font également commerce d’esclaves.
Les raisons pour lesquelles les Scandinaves se sont mis aux pillages sont encore disputées par les historiens : entre surpopulation, volonté d’expansion du territoire - une multitude de petits royaumes se faisant la guerre en Scandinavie - et/ou simplement réaction à la christianisation. Le fait est que ce sont les marchands qui ont permis l’apparition des raids vikings : les scandinaves étaient bien renseignés quant à l’état des forces en présence. L’empire de Charlemagne, notamment, se disloque. Mal défendus, les Carolingiens ne sont pas en mesure de résister aux incursions scandinaves.
Dans l'émission Appel d'air, en 2003, le linguiste spécialiste des Vikings Régis Boyer commentait sobrement leur mode de vie :
C’était premièrement des commerçants, c’était le seul secteur dans lequel ils pussent exercer leur génie. On les suit depuis le VIe siècle, on connait leurs itinéraires. Ils ont fondé des comptoirs, et un jour au VIIIe siècle ils se sont aperçus qu’un bon coup d’épée à tranchant double réglait des palabres beaucoup mieux que toutes les transactions que vous voudrez. Mais j’ose dire qu’ils sont devenus pillards à la faveur des circonstances, là où c’était possible, lorsque c’était possible : si les circonstances ne s’y prêtaient pas, ils retournaient à leurs balances à peser de l’argent haché.
Régis Boyer fait référence à "l'argent haché" parce qu'en l’absence de gouvernement scandinave capable de maintenir la valeur de la monnaie, les pièces n’ont pas de valeur en tant que telles et sont pesées et découpées au besoin : c’est le poids du métal qui déterminait la valeur d’une pièce.
L’origine du mot "viking" traduit bien cette dichotomie entre le viking guerrier et le viking marchand : si en vieux norrois - la langue de la Scandinavie - vikingr signifie “pirate” ou “pillard”, l’étymologie latine de “vicus” paraît être une explication tout aussi plausible à l'apparition du terme "viking", le mot désignant les ports marchands essentiels à l’économie scandinave. Mais les Vikings ce sont aussi, étymologiquement, les Normands, c’est-à-dire les hommes du Nord.
… et incultes ?
Qui dit barbare dit souvent force brute au détriment de l’intellect ! Pourtant la culture scandinave avait ses arts et ses lettres, notamment son alphabet runique, le futhark, probablement dérivé d’écritures méditerranéennes et de l’écriture latine.
Entre autodafés catholiques et dégradation naturelle, il reste malheureusement peu des premiers écrits vikings, à l’exception de quelques objets retrouvés lors de fouilles archéologiques. Heureusement des centaines de poèmes ont pu être préservés en étant cités dans des sagas composées en Islande à partir du XIIè siècle, à l’image du Ragnarsdrápa, “le poème de Ragnar”, qui conte les aventures du roi légendaire Ragnar Lodbrok et constitue une des sources littéraires les plus anciennes de la mythologie nordique. Il n’existe cependant qu’un seul et unique poème retrouvé sur sa source d’origine, en Suède : la pierre runique nommée "pierre de Karlevi", qui contient une strophe complète écrite dans une métrique artistique de l’époque viking connue sous le nom de drottkvœtt. Dans son ouvrage Au Temps des Vikings, Anders Winroth donne une traduction des inscriptions présentes sur la pierre :
L’arbre des ennemis de Pruör que les plus nobles exploits suivaient - tous les hommes savent cela - repose caché dans ce tumulus ; jamais plus noble Viõurr du chariot sur les domaines étendus d’Endil, fort au combat, ne gouvernera de terre au Danemark.
Le professeur d’histoire médiévale de l’université de Yale traduit pour nous “cette poésie inhabituellement complexe” : "l’arbre” désigne l’homme, et les “domaines étendus d’Endil” sont une métaphore des océans, Endil étant un dieu de la mer. Mais c'est surtout en lisant le poème dans sa langue originale qu'on comprend le travail des scaldes, les poètes nordiques. On constate alors que chaque vers comprend six syllabes, et que pris deux par deux, les vers allitèrent tous entre eux, à l’image des deux premiers, qui forment une allitération en f :
Folginn liggr, hinn’s fylgõu
(flestr vissi þat) mestar

Le poème inscrit sur la pierre de Karlevi est typique du poème de cours en vieux norrois, qui était composé par les scaldes pour les rois et chefs vikings dans les grandes maisons-halles de l’Europe du Nord. En 1992, l’émission Tire ta langue consacrait un épisode aux arts vikings et notamment à leur art des lettres, de la poésie à la saga, toujours en compagnie du spécialiste des Vikings Régis Boyer :
La poésie skaldique est à ce jour la poésie la plus compliquée, la plus sophistiquée, la plus élaborée que jamais un Occidental ait inventé. Il y a des règles de versification , de vocabulaire, de syntaxe qui font que c’est pratiquement impossible de déchiffrer à la première lecture une strophe de huit lignes skaldiques ; il faut un très très long travail. Il suffirait de se pencher un peu sur cette poésie pour comprendre qu’il est d’une absurdité totale de traiter les vikings de barbares...
Ils se déplaçaient en Drakkar

Ironie du sort, alors que le musée des Bateaux vikings envisageait de s’agrandir à proximité de Rosklide, au Danemark, les fouilles préalable du terrain ont permis de mettre au jour des morceaux du plus long bateau viking jamais découvert : un navire de guerre de près de 36 mètres de long.
Il s’agissait cependant d’un snekkar, et non d’un drakkar ! Et pour cause, le nom drakkar n’existe pas. Ce mot fait suite à une erreur et il est utilisé pour la première fois dans le premier tome d’Archéologie navale d’Augustin Jal, en 1840. Il dérive tout droit du mot suédois “drake”, lui même dérivé du mot “dreki” en ancien scandinave. Sa signification ? “Dragon”, en référence à la figure sculptée à la proue du navire.
Le drakkar désigne par défaut les bateaux de guerre vikings, en réalité les langskip, qui permettaient de se déplacer à la voile ou l’aviron. Selon leur taille on parle de karv ou de snekkar. Les kaupskip sont quant à eux des navires de commerce qui se déplacent à la voile.
Toujours dans l'émission Appel d'air, en 2003, la chercheuse au CNRS Elisabeth Ridel dressait le portrait de ces navires extrêmement efficaces pour l'époque :
Les recherches très récentes disent que c'était peut-être la navire le plus performant pour l'époque. Les bateaux les plus anciens n'étaient ni de guerre ni de charge, ils pouvaient faire les deux. Mais après les bateaux se spécialisent, vers l'an mil on a des bateaux typiquement de charge et ça c'est dû au développement des colonies vers les [îles] Féroé et l'Islande.
C’est leur fond plat et leur faible tirant d’eau qui fait des langskip des navires si particuliers, raconte Anders Winroth :
Grâce aux voiles et aux nombreuses paires de rameurs possibles ils pouvaient aborder un littoral ou les rives d’un grand fleuve sans coup férir et sans avoir été repérés. Le tirant d’eau relativement faible de leurs navires leur permettait de remonter les fleuves puis de les tirer sur la terre ferme.
La rapidité de ces navires permettait aux Vikings d’effectuer des attaques éclairs avant de se replier rapidement pour se mettre à l’abri. Mais ils n’avaient pas que des avantages : en haute mer leurs voiles carrées les rendaient bien plus sensibles aux intempéries et le faible tirant d’eau les contraignait à beaucoup écoper en cas de forte houle.
Ils portaient des casques à corne

L’imaginaire a parfois la vie dure, et le Viking affublé d’un casque à cornes a un peu de mal à en disparaître. Cette représentation nous viendrait tout droit du XIXe siècle et de la période romantique, notamment de l’opéra L’Anneau du Nibelung, de Wagner, inspiré de la mythologie nordique. Pour la première représentation, en 1876, le créateur de costumes Carl Emil Doepler ajoute des cornes aux casques des guerriers : l’influence du chef d’œuvre de Wagner fait le reste et le casque à cornes s’ancre dans l’imaginaire viking.
Pourtant, aucun de ces casques n’a été retrouvé lors de fouilles archéologiques. Les Scandinaves lui préféraient des casques plus classiques, éventuellement “à lunettes” ou “nasal”, bien plus pratiques pour le combat.

En septembre 2013, un épisode de La Fabrique de l'Histoire s'interrogeait sur la façon dont les représentations des Vikings étaient devenues aussi populaires : elles remonteraient au XVIe siècle, "lorsque les monarchies scandinaves en pleine ascension veulent construire des origines dignes de l'antiquité gréco-romaine", relatait alors Jean-Marie Levesque, conservateur au Musée de la Normandie, à Caen :
L’essentiel des représentations du Viking est fondée autour de la collecte des éléments de la mythologie. Ce mouvement donne lieu à des publications, des textes et ouvrages qui sont des traductions notamment de l’Edda, et des poèmes, récits et pièces de théâtre qui s’emparent ce ces sujets et commencent à répandre toute une imagerie qui va être réutilisée par les poètes romantiques. C’est la deuxième étape de ce mouvement : le romantisme.
Valkyries et vierges au bouclier : des femmes guerrières ?

La mythologie nordique consacre une grande place aux Valkyries, ces vierges guerrières vêtues d'armures qui emportent les âmes des plus valeureux guerriers au Valhalla, où les attend Odin. Elles sont citées à de nombreuses reprises dans des poèmes norrois, à l'image de Freyja ou Hildr, dans le Codex Regius islandais ou l'Edda poétique de Snorri.
Au vu de la place que tiennent ces déesses dans la mythologie nordique, il n'est pas étonnant qu'on ait pu imaginer des femmes vikings aux côtés des hommes, prêtes à piller et massacrer au même titre que leurs congénères masculins. D'autant que dans la Geste des Danois, rédigée vers 1200 par l'historien médiéval Saxo Grammaticus, on peut découvrir des héroïnes "réelles" hautes en couleur, à l'image de Lagherta, qui fut la femme de Ragnar Lodbrok. La Saga des Groenlandais, qui retrace l'exploration du Groenland et probablement de l'Amérique du Nord par les Vikings, fait quant à elle la part belle au personnage de Freydís Eríksdóttir, fille de l'explorateur légendaire Erik le Rouge. Ces femmes sont toutes deux des Skajlmö, comprendre "vierge au bouclier", des femmes combattantes armées de lances et de boucliers.
Mais si les femmes guerrières tiennent un rôle d'importance dans les récits nordiques, les archéologues se veulent plus prudents. Ils ont longtemps estimé que ces récits ne rejoignaient pas la réalité, faute de preuves : des femmes guerrières avaient bien été retrouvées dans des tombes, mais très peu. En 2017 cependant, un guerrier viking enterré dans une des plus célèbre sépultures connues, découvert avec un riche armement, s'est avéré être une femme, preuve que les légendaires guerrières étaient bien réelles.
Néanmoins, si les femmes guerrières existaient au temps des vikings, l'immense majorité des femmes avaient avant tout pour charge la bonne tenue du domicile. Femmes et hommes de la Scandinavie avaient alors chacun des rôles bien attribués : la Grágás, le code des lois de l'Islande médiévale précise ainsi que les femmes sont responsables des affaires "en deça du seuil" (à l'intérieur de la maison) alors que les époux s'occupent de ce qui est à l'extérieur. Compte tenu de l'importance de la maisonnée dans les sociétés agraires prémodernes, les femmes n'en étaient pas moins des piliers de la société viking.
A en croire, les différentes sagas scandinaves, elles bénéficiaient d'ailleurs d'un statut un peu plus enviable que celui de leurs contemporaines en Occident : non seulement la maîtresse de maison était respectée et écoutée, mais elle pouvait demander le divorce dans des conditions spécifiques, notamment si elle était battue. Elle pouvait même, dans ce cas, récupérer la dot qu'elle avait apportée lors de son mariage.
Bibliographie
Au temps des VikingsLa Découverte, 2018