L'enlèvement de Maurice Audin raconté par sa veuve : “S’il est raisonnable, vous le reverrez vite…”
Josette Audin, l’épouse du mathématicien militant de l’Algérie indépendante Maurice Audin, est morte le 2 février. En septembre 2018, Emmanuel Macron avait reconnu la responsabilité de l’Etat dans l’assassinat de son mari, en 1957. En 2001, sur France Culture, Josette Audin racontait son enlèvement.

Elle aura passé la majorité de sa vie à tenter de faire la lumière sur les circonstances de l'assassinat de son mari, Maurice Audin. Josette Audin est morte samedi 2 février, à l'âge de 87 ans.
En septembre dernier, Emmanuel Macron avait choisi de reconnaître enfin la responsabilité de l'Etat dans la mort du mathématicien français communiste, enlevé chez lui à Alger par des parachutistes dans la nuit du 11 juin 1957, et jamais reparu. L'Elysée avait reconnu que Maurice Audin était "mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France", annonçant "l'ouverture des archives sur le sujet des disparus civils et militaires, français et algériens". Emmanuel Macron s'était également rendu chez sa veuve, Josette Audin, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). La productrice Martine Lefèvre était allée la rencontrer pour France Culture en 2001 : près d'une photo en noir et blanc du mathématicien, Josette Audin, d'une voix toujours émue, se souvenait des circonstances de cette disparition provoquée.
En 1957, Josette Audin et son mari vivent à Alger et sont âgés respectivement de 26 et 25 ans. Le couple a trois enfants, une petite fille de 3 ans et demi et deux petits garçons de vingt mois, et un mois. Tous deux sont membres du parti communiste algérien qui, à cette époque, est engagé dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. “Depuis le début de l’année 1957 les parachutistes font régner la terreur, ils se promènent dans les villes, arrêtent les passants, ceux naturellement qui sont suspects c’est à dire les Algériens, pas les Européens, et tout le monde sait que le jour ils paradent auprès des filles et que la nuit ils font leur sale boulot" témoignait Josette Audin dans cette émission.
C'est dans ce contexte que tous deux mènent des activités clandestines au sein du parti. En parallèle, le mathématicien est assistant à la faculté des sciences d’Alger. Sa thèse est presque aboutie lorsqu'il est arrêté dans la nuit du 11 juin 1957. Elle sera finalement soutenue "in absentia" à la Sorbonne, six mois après sa disparition, par son directeur de thèse René de Possel :
Les parachutistes sont venus chez nous à 11h du soir et ils ont emmené mon mari. Ils ont laissé un certain nombre d’entre eux chez moi pour me garder avec mes enfants. C’est à ce moment-là que je l’ai vu pour la dernière fois. Nous étions couchés, on est allés ouvrir, ils sont entrés, m’ont bloquée dans la pièce voisine où dormait l’un de mes enfants, et très vite ils sont partis avec mon mari en me disant de ne pas bouger. J’ai demandé au capitaine où il l’emmenait, et quand il allait revenir, et il m’a répondu : “S’il est raisonnable, vous le reverrez très vite.” Donc apparemment il n’a pas été raisonnable puisque je ne l’ai jamais revu.
L'invention d'un scénario par les parachutistes
Josette Audin n'a même pas pu voir la dépouille de son mari : "Peut être parce qu’il était européen, universitaire, les militaires ont essayé d’inventer une histoire. Ils ont imaginé un scénario de Maurice Audin s’enfuyant, s’étant échappé d’entre leurs mains. Evidemment, c’était complètement improbable, impossible. Non seulement ils ont torturé jusqu’à la mort, mais en plus, le fait de faire disparaître les gens participait à la terreur qu’ils faisaient régner sur la ville".
L'épouse du mathématicien témoigne être restée quatre jours en compagnie de parachutistes et de policiers (qui restaient à son domicile), n'ayant autre chose à faire que se ronger les sangs : "A cette époque on savait que les gens qui étaient arrêtés étaient automatiquement torturés, donc forcément, je ne pensais qu’à ça, qu’il était certainement torturé." Elle assiste le lendemain à l'arrestation du journaliste Henri Alleg, ami de Maurice Audin venu à leur domicile : "Il s'était présenté chez nous. Il a essayé de faire croire qu’il était là pour renouveler l’assurance de mon mari mais les parachutistes n’ont pas été dupes. Ils ont téléphoné au lieutenant Charbonnier qui est venu très vite le chercher.”
Elle raconte que deux des parachutistes présents au moment de l'arrestation de son mari étaient revenus chez elle peu de temps après, affirmant vouloir vérifier que le prétendu fugitif n'était pas revenu :
Leur attitude était inquiétante. Ils sont venus comme ça, ils n’ont rien cherché, ils sont repartis pratiquement tout de suite. Les seules choses qu’ils aient faites en entrant chez moi c’était de dire, en regardant une photo : “Ah ah, votre mari… mais il était jeune ce type-là ! Vous croyez que vous allez le revoir ?“ Des réflexions de ce genre… et puis ils sont partis et je n’ai plus eu de nouvelles. A ce moment-là j’ai déposé une plainte au tribunal d’Alger qui a été instruite plus ou moins, avec plus ou moins de diligence disons…
Le cas de Maurice Audin était loin d'être un cas isolé. En effet, durant la bataille d’Alger, on dénombra entre 3000 à 3200 disparus, algériens pour la majorité d'entre eux. Pourtant, si les choses "se savaient", Josette Audin souligne qu'il était impensable pour eux d'organiser des manifestations, les parachutistes quadrillant la ville et faisant régner la terreur.
Les gens avaient peur pour eux, pour leurs enfants, leur familles… il n’y avait pas de rassemblement des femmes de disparus, ou des mères de disparus, comme ça a pu avoir lieu ensuite, par exemple en Argentine. J’ai rencontré très récemment une Algérienne dont le mari a disparu dans les mêmes conditions, qui dépose plainte aussi, mais… c’est vrai qu’il y a eu tellement de morts, de tellement de façons, pendant la guerre d’Algérie : la torture, mais aussi des morts par bombardements. Les gens étaient rassemblés dans des camps, ils étaient maltraités. Ce n’était pas une guerre propre, c’était une guerre.
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