Avec son franc-parler, sa fierté d'être noire et son indépendance, Ma Rainey est l’une des premières rock stars de l'histoire. Voici comment cette pionnière oubliée, dont un épisode de la vie vient d’être adapté en film par Netflix, a popularisé un chant d'esclaves : le blues.
Surnommée “la mère du blues”, Ma Rainey est une des premières “rock stars” de l’histoire de la musique. Elle a chanté sa fierté d’être noire, bisexuelle, indépendante. Mentore de Bessie Smith, Ma revendique le même salaire que les hommes et son droit à la liberté.
“Quand elle ouvrait la bouche elle vous captivait aussitôt et vous faisait tout oublier, elle savait comment chanter le blues et cela vous allait droit au cœur”, se souvient Champion Jack Dupree, pianiste et chanteur de blues.
Si elle n’est pas l’inventrice du blues, elle est celle qui le popularise et l'enrichit grâce à son franc-parler et son attitude libérée.
Chant d'esclaves
Née en 1886, à Colombus en Géorgie, elle devient “Ma Rainey” quand elle rencontre “Pa Rainey” comédien et chanteur. Elle parcourait alors le sud du pays pour une tournée de vaudeville.
Un soir, Ma entend une jeune fille chanter une mélodie nouvelle lors d’un spectacle, elle est subjuguée. Ma vient d’entendre du blues. Ce chant d'esclaves des champs de coton date de la fin du XIXe siècle. Il emprunte aux rythmiques de l’Afrique de l’Ouest dont était originaire une partie des esclaves.
Loin de n’être que mélancolique, comme son nom le laisse penser, le blues est un chant de description, fait pour conter. Peu à peu, le blues sort des plantations et s'invite dans le théâtre du Sud ségrégationniste.
Suite au succès du premier enregistrement en studio, par Mamie Smith, d’un morceau de blues, des producteurs blancs partent en quête de filles afro-américaines, aptes à chanter ce type de musique, qu’elles soient du Sud ou non.
Un blues libéré
Ma est ainsi repérée. Elle s’approprie le blues et devient l’une des premières à écrire ses propres chansons. En tant que femme afro-américaine, elle a conscience de son statut de dominée, alors chanter du blues lui permet de dépeindre sa réalité sociale, celle d’une population qui, avant la fin de la ségrégation, ne pouvait s’exprimer.
Séparée de Pa, Ma chante davantage sa sexualité. Elle se revendique bisexuelle et clame haut et fort son besoin d’indépendance. Elle écrit _Prove It On Me Blue_s considéré comme une des premières odes au lesbianisme.
Pour Angela Davis, qui a étudié le lien entre les chanteuses de blues et le féminisme noir, Ma célèbre son droit à se conduire “de manière aussi indésirable que les hommes”.
“La sexualité, elle baigne dans le blues, il n’y a que ça, à mots couverts. C’est toujours pareil, c’était un sous-genre, ce n’était pas considéré comme important et pendant très longtemps, y compris par les Noirs, c’était le jazz qui était considéré comme une musique de gens corrects. C’était la musique des pauvres et des illettrés", précise Gérard Herzhaft, ethnomusicologue.
Ma joue de ce statut de sous-genre : bijoux clinquants, dents en or, maquillage outrancier, costume extravagants, tout en contestant les normes sociales, le patriarcat, la violence conjugale. Ma captive son public avec sa gestuelle, ses cris et sa hargne communicative.
Une influence sur toute une génération
Elle pose les bases d’un féminisme noir et popularise la sororité. Quand elle chante, Ma ne pense pas politique mais liberté, la sienne mais aussi celle des autres femmes qu’elle pourrait aider.
Et quand elle signe avec un label en 1923, elle se bat pour obtenir un salaire équivalent aux hommes. Elle enregistre des dizaines de titres mais, rapidement, le public se lasse. Elle se retire officiellement en Géorgie en 1935, sur sa terre natale, et profite de l’argent qu’elle a économisé.
Mais avant sa retraite, Ma forme Bessie Smith avec qui elle aurait aussi eu une liaison, donne des cours à Armstrong et enregistre des titres avec lui. Longtemps oubliées, ses chansons sont remasterisées dans les années 1960 et toute la scène blues y redécouvre l’héritage de Ma.
Elle est l’influence de toute une génération de jeunes artistes afro-américaines, des années 1950 à aujourd’hui, d’Angela Davis à Joséphine Baker et Al Young.