Condamné à de multiples reprises pour "incitation à la haine raciale" et "contestation de crime contre l'humanité", l'instigateur des thèses négationnistes en France, Robert Faurisson, est mort dimanche 21 octobre à l'âge de 89 ans.

Figure du négationnisme, condamné à de multiples reprises pour “incitation à la haine raciale” et “contestation de crime contre l’humanité”, Robert Faurisson est mort dimanche 21 octobre, à l’âge de 89 ans d’une crise cardiaque, à Vichy. Il s’était rendu célèbre avec ses thèses contestant le génocide des juifs et l’existence des chambres à gaz.
Né en 1929 en Angleterre, Robert Faurisson est d’abord professeur de lycée puis maître de conférences à l'université Lyon-II en littérature contemporaine. C’est à partir des années 60 qu’il commence à acquérir une certaine notoriété, en publiant des études littéraires très contestées. Il fait ainsi paraître son étude “A-t-on lu Rimbaud ?” dans la revue Bizarre en 1961, où il défend l’idée que le sonnet Voyelles a un sens érotique et scatologique. Souhaitant conserver l’anonymat autant que le mystère, il ne la signe d’abord que des initiales R.F.
Dans une émission des Nuits magnétiques consacrée à Arthur Rimbaud, en 1983, le romancier et essayiste Gilbert Lascault dénonçait l’analyse de Robert Faurisson :
Le délire d'interprétation se présente chez RF comme une espèce de désir de vérité exorbitante et comme une façon de détruire tout ce qui n’est pas son interprétation. Au lieu de se contenter de présenter comme une possibilité son interprétation, il la présente comme la seule solution possible. Une solution qui est simple, qu’il détient ; c’est-à-dire qu’il se présente comme le maître de la vérité. Et ça c’est extrêmement déplaisant, déjà, dans le texte.
Dix ans plus tard, en 1971, il défend, cette fois dans La Nouvelle Revue française, l’idée que Les Chants de Maldoror et les Poésies de Lautréamont seraient une parodie. Si l’hypothèse fait un certain bruit, elle ne rencontre guère d’échos favorables. Faurisson développe également ce qu’il nomme la “méthode Ajax”, en référence au produit d’entretien : il tient à analyser les textes au pied de la lettre, sans prendre en compte l’auteur ou le contexte.
Robert Faurisson : la seconde génération du négationnisme
En parallèle de ses provocations littéraires, Robert Faurisson commence à développer ses thèses négationnistes, en s’inspirant des hypothèses du fondateur du négationnisme en France, Paul Rassinier, alors qu’il enseigne à l’université de Lyon.
En novembre 2000, dans l’émission des Chemins de la connaissance, Généalogie d’un mensonge, l’historienne française et spécialiste du négationnisme Valérie Igounet retraçait les origines de ce mouvement :
La première génération va être incarnée par Maurice Bardèche et Paul Rassinier. Maurice Bardèche est le fondateur du discours du négationnisme, son initiateur, puisqu’il sort un ouvrage en France en 1948, "Nuremberg ou la terre promise", dans lequel il pose les bases du discours [négationniste]. En gros, les juifs ne sont pas morts, ils ont inventé le génocide juif pour une raison essentielle, et c’est pour créer une assise territoriale : Israël. D’autres personnes vont reprendre ce discours et le modeler au goût du jour, par rapport à un contexte national ou international. Bardèche est un écrivain, qui a écrit sur Stendhal, et surtout un homme qui se reconnaît ouvertement fasciste, [...] donc le discours né à l’extrême droite. Ensuite, Paul Rassinier, qui est aussi une personne singulière dans le sens où c’est un ancien déporté dans deux camps de concentration. J’insiste sur concentration, puisque évidemment il n’a pas pu voir des chambres à gaz, il n’était pas dans des camps d’extermination. Il est important aussi dans le sens où c’est un ancien homme de gauche : il va reformuler ce discours et ce discours va avoir une petite aura, car on va se dire que si un ancien homme de gauche, un ancien déporté professe ces mots, n’y aurait-il pas quelque chose de véritable, de véridique, dans son discours ? Mais si on s’attarde sur sa personnalité, on s'aperçoit que Paul Rassinier est surtout un homme avide de reconnaissance, un homme fragile psychologiquement. [...] A la fin de sa vie, ses écrits sont complètements antisémites.
Les idées négationnistes, restées discrètes depuis les années 1945, percent médiatiquement avec Faurisson, poursuit Valérie Igounet :
La deuxième génération c’est Faurisson. Robert Faurisson va se dire qu’il faut attendre le bon moment en France pour faire percer ce discours. Il va arriver avec l’affaire Faurisson et une interview, qui est publiée dans L’Express, de l’ancien commissaire aux questions juives sous Vichy, Louis Darquier de Pellepoix, et ça va être le moment du négationnisme en France.
L’enseignant profite alors des réactions provoquées par l’interview pour publier une tribune dans Le Monde, le 29 décembre 1978, intitulée “Le Problème des chambres à gaz, ou la rumeur d’Auschwitz”, où il défend l’idée que les chambres à gaz n’ont jamais été utilisées pour gazer les hommes, mais qu’elles étaient utilisées à des fins d’épouillage. Selon lui, les déportés étaient morts de maladie et de malnutrition.
Les thèses de Faurisson font scandale et occasionnent de nombreuses réactions. Il use alors du droit de réponse pour faire durer la polémique, mais ses propos lui valent également d’être mis à l’écart de la faculté de Lyon II, où il est affecté à l’enseignement à distance. Soutenu par l’extrême droite et une petite partie de l’ultragauche, Robert Faurisson continue à développer ses thèses au cours des années 80.
Ses prises de position lui valent d’être condamné à plusieurs reprises. D’abord en 1981 face à Robert Badinter qui représente de nombreuses associations dont le MRAP et la LICRA, et qui dénonce un “faussaire” :
Face à la vérité, M. Faurisson et ses amis n'avaient que le choix d'être des faussaires, et c'est le parti qu'ils ont adopté en se drapant dans une dignité qui n'était pas la leur, celle de la science historique… Avec des faussaires, on ne débat pas, on saisit la justice et on les fait condamner.
Si Robert Faurisson souhaitait en effet conférer à ses "travaux" une validation historique, de nombreux historiens reconnus lui ont refusé ce titre et ont dénoncé le caractère “pseudo-scientifique” de ses "recherches". En 1991, il est le premier justifiable français condamné en vertu de la loi Gayssot, pour “contestation de crime contre l’humanité”. En 1998, il est à nouveau condamné pour le même délit.
Une reconnaissance en Iran
S’il est de plus en plus contesté, Robert Faurisson continue à faire parler de lui, notamment en 2008, lorsque l’humoriste polémique Dieudonné M’Bala M’Bala lui fait remettre le “prix de l’infréquentabilité” par un acolyte déguisé en déporté juif. L’événement vaut à Dieudonné une condamnation à 10 000 euros d’amende pour injures à caractère raciste.
En se proclamant anti-sioniste, le négationniste s'attire également les faveurs de l’Iran. En 2012, le président Mahmoud Ahmadinejad, dans le cadre du festival international du film de Téhéran, lui remet ainsi le “premier prix du courage, de la résistance et de la combativité”.
En perte de vitesse en France, le négationniste utilise ses multiples procès pour faire entendre ses idées. Le dernier en date, contre le journal Le Monde et la journaliste Ariane Chemin pour “injure publique”, lui vaut d’être débouté : le 6 juin 2017, le Tribunal de grande instance de Paris estime ainsi que dire de Robert Faurisson qu’il est “un menteur professionnel”, un “falsificateur” et “un faussaire de l’histoire” est conforme à la vérité.
Ce matin, sur Twitter, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah a réagi en expliquant que si “Robert Faurisson est mort, ses 'thèses' immondes vivent encore. Le combat pour la vérité historique continue face aux faussaires de l’Histoire". De son côté, l’historien de la déportation Serge Klarsfeld a assuré que Robert Faurisson a “rendu un grand service involontairement” en faisant de la Shoah “l’un des événements les mieux connus du monde”.