Quand les accusés se donnent en spectacle... Le Monde
Un bien curieux théâtre où la vérité insupportable du national-socialisme fait face au cynisme des accusés : comment garder sa dignité quand son indignité est largement démontrée ?**"Les militaires claquent des talons. Les civils se serrent les mains. Les uns sourient. D'autres ont les traits soucieux. Certains visages ne montrent aucune expression. Il s'assoient, s'installent, causent entre eux ou avec leurs défenseurs. Mais aucun de ces hommes accusés, dont je scrute les figures avec une avidité passionnée, aucun ne porte sur le front ou dans les yeux la moindre trace, le moindre reflet, la plus petite justification de leur gloire passée, ou du terrifiant pouvoir qui fut le leur."** Joseph Kessel, *France-Soir* .
Le Monde, 3 septembre 1946•
Crédits : Radio France Le Monde, 3 septembre 1946
**Non-coupables, mais responsables...**
La défense plaide non-coupable. **"Goering innocent de tout crime... telle est la thèse que soutient son avocat en commençant sa plaidoirie"** (Le Monde, 6 juillet 1946), **"Hess, Ribbentrop et Keitel plaident non coupables"** (Le Monde, 1er septembre 1946).
Néanmoins, les accusés restent fidèles à leur conviction. **"Goering, dans sa défense, avait donné l'exemple à ses coaccusés en ne cherchant pas à éluder ses responsabilités. Hess s'en était inspiré. Mais Ribbentrop (...) a creusé une fissure dans ce "bloc des accusés" que Goering espérait se voir former."** (Le Monde, 29 Mars 1946). En somme, si tout était à refaire, tous agiraient de la même façon.
La non-culpabilité devient un "air connu" : **"Ce sont toujours les mêmes arguments qui reviennent : l'accusé ne connaissait pas toutes ces atrocités, il ne pouvait pas s'insurger contre les ordres, il a fait tout son possible..."** (Le Monde, juillet 1946). ** "L'avocat de Von Schirach argue de ses "bonnes intentions" : "Tout d'abord, souligne-t-il, von Schirach n'était pas de connivence avec les SS. Bien mieux, il est toujours resté suspect à Hitler".** (Le Monde, 19 juillet 1946) On comprend ici quelle est la portée juridique de la reconnaissance de la responsabilité personnelle.
Le Monde, 22 novembre 1945•
Crédits : Radio France Le Monde, 22 novembre 1945
**L'indifférence coupable**
**"La vingtaine de représentants du nazisme fait rarement figure d'accusé. Cynisme ? Inconscience ? Fatalisme ? Ils ont l'air très à leur aise, comme des spectateurs intéressés mais hors de cause »** . (Jeanine Gallois, Le Monde, 27 Novembre 1945).
A la lecture du verdict, tous "**les accusés (...) ont mis leur casque d'écoute, à l'exception de Rudolf Hess"." Goering a pris sa pose favorite et s'appuie du coude droit sur le rebord du box, la main posée sur son front pensif. A côté de lui, Hess ne paraît pas prendre intérêt de ce qui se passe (...). Sauckel, lui, se retourne fréquemment pour regarder l'heure à la pendule placée derrière lui (...). Streicher rumine son éternel chewing-gum, mais sans autre expression que celle de sa fatuité habituelle". ** (Le Monde, 1er octobre 1946)
*" Le plus souvent, les Allemands ne croient pas ou ne veulent pas croire aux atrocités commises dans les camps de concentration ou dans les pays occupés. Les déportations de travailleurs les émeuvent encore moins. Comme l'avocat de Sauckel, ils vous répondent que les travailleurs étaient bien traités et ne comprennent point que le seul fait d'arracher un homme à sa famille, à sa patrie, est un crime contre l'humanité ; ils n'ont pas le sens de la dignité humaine."* (Le Monde, 29 septembre 1946).
Le Monde, 21 août 1946•
Crédits : Radio France Le Monde, 21 août 1946
**Goering prend le procès comme tribune**
Très amaigri, privé de ses doses de morphine, Goering reste la vedette du spectacle. Lunettes noires, attitude débonnaire, il rivalise avec Hess qui simule l'amnésie et fait des exercices physiques en plein prétoire. **"Devant un tel cynisme on reste atterré. Il est si profondément naturel qu'aujourd'hui encore, en face de ses juges, Goering est secoué d'un rire inextinguible."** (Le Monde, 1er décembre 1945). Joseph Kessel rapporte : "**les deux compères tragiques (Ribbentrop et Goering) riaient encore de la farce par laquelle ils avaient berné le monde et triché au jeu des peuples et du sang."** . (France-Soir)
Goering tente d'entraver la bonne marche du procès et profite de son temps de parole pour clamer sa fidélité aux valeurs du national-socialisme. Sa défense prend trois jours d'audience. Il parle tout en jetant son regard sur un carton, sur lequel il a été écrit : "Doucement. Respirer. Du calme. De la tenue." Si bien que **"Le magistrat américain (...) demande au tribunal d'imposer à Goering comme aux autres accusés, de répondre seulement par oui ou par non à toutes les questions posées (...). S'il n'en était pas ainsi, fait valoir M. Jackson, la direction de ce procès risquerait de nous échapper complètement. Bientôt on verrait les accusés eux-mêmes en assumer le contrôle, surtout si l'accusation doit à son tour répondre à leurs propres questions". ** (Le Monde, 21 Mars 1946).
Tour de force tenté par Goering que de transformer le procès en tribune : **"Goering par delà le tribunal parle à la nation allemande" ** (Le Monde, 16 mars 1946). **"Le concept de l'espace vital devait simplement nous donner la nourriture indispensable et nous permettre de mener une vie respectable dans un pays surpeuplé" ** répond Goering à son avocat (Le Monde, 15 Mars 1946).
*"Oui c'est bien moi, personnellement qui ai favorisé l'accession au pouvoir du parti national-socialiste. J'ai travaillé de toutes mes forces à cette fin et pour que ce parti garde, seul, le pouvoir. C'est moi qui ai poussé Hitler au pouvoir suprême. J'ai agi ainsi pour favoriser le développement d'une Allemagne puissante et pour que ma patrie obtienne, enfin la place qui de droit lui revient dans la monde" * (Le Monde, 15 mars 1946).