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*Pourquoi **l'étranger** en titre de ce dossier ? Est-ce parce que **L'Etranger** vaut à Albert Camus son premier grand succès ? Mais Camus n'est-il pas un **étranger** à Paris après avoir quitté son Algérie natale en 1940 ? A moins que dans la marche du temps qui conduit à l'indépendance algérienne il ne soit devenu doublement **étranger** pour une communauté pied-noir qui l'exclue, pour nombre d'Algériens qui ne le reconnaissent pas. Enfin, Camus c'est **l'étranger** aux idées admises et aux chapelles établies. *
**Une enfance algérienne**
Albert Camus est né le 7 novembre 1913 à Mondovi aujourd'hui Dréan dans le Constantinois près de Bône, rebaptisée Annaba après l'indépendance algérienne, au sein d'une famille modeste. La région, agricole, est alors connue pour son tabac et ses vignes. Les Camus sont arrivés assez tôt en Algérie venant du bordelais, d'Ardèche ou peut-être d'Alsace. Lucien Camus, père d'Albert, caviste dans un domaine viticole des environs, est d'ailleurs né en Algérie en 1885. Agé de 25 ans, il épouse en novembre 1910, Catherine Sintès, elle-même née en Algérie en 1882 de souche espagnole. Ils auront deux fils : Lucien Jean, l'aîné et Albert.
Dans l'année qui suit la naissance d'Albert Camus, son père Lucien est mobilisé en septembre 1914. Très peu de temps après son arrivée au front, il est grièvement blessé durant la **bataille de la Marne** (6-12 septembre 1914) et meurt moins d'un mois plus tard. Albert Camus n'aura donc pratiquement pas connu son père. Avant même la mobilisation de son mari, la mère d'Albert Camus, Catherine, qui ne sait ni lire, ni écrire, souffre de surdité et s'exprime avec difficulté, avait quitté la région pour s'installer avec ses deux enfants chez sa mère à Belcourt, un quartier pauvre d'Alger. Albert Camus y sera élevé à la dure par une grand-mère autoritaire tandis que Catherine s'épuise à faire des ménages. Il y a là aussi, Etienne, le frère de Catherine, sourd muet qui travaille comme tonnelier et un autre oncle qui tient une boucherie rue Michelet. Années dures pour Albert Camus et dont il se souviendra dans **L'Envers et l'Endroit** .
1923, une année décisive pour le gamin sur les bancs de la communale à Alger. Son instituteur, **Louis Germain** , a remarqué la vivacité intellectuelle de l'enfant et décide de s'occuper de lui, de lui donner un petit coup de pouce, le soir après les cours. Louis Germain va même inciter la famille à présenter le jeune Albert au concours des bourses contre l'avis de sa grand-mère car pour les Camus, les études ne servent à rien, il faut gagner sa vie au plus tôt. En 1924, Camus, reçu, entre comme demi-pensionnaire au **lycée Bugeaud** , devenu aujourd'hui le lycée Emir Abd-el-Kader et découvre alors un autre monde dont sont généralement exclus les fils d'ouvrier. Pas facile de s'adapter, de se faire des copains de classe lorsque l'on est pauvre. Cela aussi marquera son adolescence. Et puis, heureusement, il y a tout le reste, ces rêves, cet appétit de la vie. Camus est heureux de vivre et il se dépense sans compter dans cette Algérie qu'il aime tant. Il pratique la natation mais son sport de prédilection est le football dans lequel il commence même à se faire une certaine réputation comme gardien de but.
Un véritable fléau Un véritable fléau
**La tuberculose**
1930, l'année du Bac pour Albert Camus mais aussi l'année où il faut arrêter le sport à la suite de crachements de sang. La terrifiante tuberculose dont on peut encore mourir y compris lorsqu'on a dix-sept ans. Maladie mortelle qui fait peur. Dans les années trente, le remède contre la Tuberculose, c'est le sanatorium, les antibiotiques viendront plus tard. Le traitement est long. La maladie va faire un bout de route avec Albert Camus. Il va en souffrir durant plusieurs années lorsqu'une atteinte imprévisible le contraindra à de nouveaux examens, à de nouvelles cures de repos. A deux reprises, une simple visite médicale lui interdira l'accès à l'agrégation et au professorat, ce dont il rêvait. Nous sommes en 1937. Auparavant, il y a eu cette rencontre avec **Jean Grenier** dont Camus fut l'élève et plus tard l'ami. L'un de ses premiers textes, **L'Envers et l'Endroit** publié à Alger est justement dédié à Jean Grenier.
**1936** , c'est l'année du **Front populaire** en France mais pour Camus l'année qui voit l'échec de son premier mariage. Ce milieu des années trente, c'est pour lui le temps des premiers engagements contre le fascisme qui submerge l'Europe, en Italie, en Allemagne, en Espagne avec la guerre civile et Franco. Son engagement au parti communiste puis son départ. Le parti l'accuse de Trotskisme et les camarades le savent favorable - trop favorable - à la cause musulmane. A l'image de la plupart des formations politiques de l'époque, les communistes adoptent eux aussi une ligne coloniale qui sépare deux catégories de Français, les Français de souche dont les ancêtres étaient les Gaulois et les autres, les autochtones... les indigènes... avec toute la dose de mépris dont on peut saupoudrer ces deux mots. Or Camus se souvient de son enfance à Belcourt, de la pauvreté de sa famille, de la dureté de la vie, de cette maladie de la misère et de l'habitat insalubre qu'est la tuberculose. Comment pourrait-il trahir la condition de tous ceux dont il a partagé le quotidien ?
Alors que la rupture est consommée avec les communistes, Albert Camus entre au journal **Alger Républicain** proche du parti communiste algérien, une entité séparée du PCF car elle a ouvert ses rangs précisément aux autochtones. **Pascal Pia** , inclassable touche-à-tout, est le directeur de ce journal qui a du mal à boucler non pas ses éditions mais plutôt ses fins de mois et traverse d'éternelles difficultés financières ponctuées de saisies au point d'être surnommé par la presse coloniale **le petit mendiant** . Le grand reportage **Misère de la Kabylie** que publie dans ses colonnes le journal du 5 au 15 juin 1939 sous la plume d'Albert Camus, aura un impact considérable sur l'opinion mais en octobre 1939, l'aventure s'achève. L'Alger Républicain est frappé d'interdiction par le régime de Vichy et ne reparaîtra qu'après le débarquement allié de 1942 pour connaître ensuite d'autres interdictions en 1955 notamment alors que se profile la guerre d'indépendance.
A lire aussi : [Albert Camus : L'absurde, l'amour et la mort](/2010-01-04-l-039-absurde-l-039-amour-et-la-mort.html "Albert Camus: L'absurde, l'amour et la mort")