Erri de Luca, qui a appelé au "sabotage" de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, a finalement été relaxé le 19 octobre par la justice italienne. L'écrivain argue de la liberté d'expression et d'un usage figuré du terme "sabotage". Mais cette grande voix de la littérature contemporaine italienne est aussi célèbre dans son pays pour avoir été un pilier du mouvement d'extrême-gauche Lotta Continua durant les années de plomb. L'occasion d'exhumer des archives France Culture le témoignage de grandes figures de la lutte d'extrême-gauche durant les années de plomb.

Episode 5/5 1995 : L'histoire de son procès par Paolo Persichetti, militant d'extrême-gauche jugé coupable
Le cas Persichetti, du nom de Paolo Persichetti, jugé coupable du meurtre d'un général italien en 1987, aux côtés de l'Union des combattants communistes, est emblématique de l'épopée judiciaire qui a suivi les années de plomb en Italie. Et ce, pour au moins deux raisons.
D'abord parce que c'est lui que la France a extradé en premier lorsque Paris cessa d'accorder un asile discret aux 300 militants d'extrême-gauche qui avaient franchi les Alpes. Persichetti, lui, s'était réfugié en France après avoir été reconnu coupable en appel et condamné à 22 ans et six mois.
Finalement mis hors de cause dans l'affaire pour laquelle le réclamait l'Italie - l'universitaire faisait cours à l'université Paris VIII au moment des faits-, la justice incarcère Persichetti pour la première affaire, de 1987.
Son cas est aussi emblématique du climat judiciaire des années post-brigadistes en Italie. Alors qu'on estime qu'ils étaient plus de deux mille au début des années 80, inculpés pour avoir participé à des actions violentes au nom de l'extrême-gauche, certains obtiennent un statut particulier : celui de repenti.
C'est précisément la parole d'un de ces repentis qui a fait basculer le verdict dans l'affaire Persichetti entre la première instance et le procès en appel, en 1991. Il détaillait sa version des faits au micro d'Antoine Spire dans l'émission "Les voix du silence", diffusée le 15 février 1995 :
Après douze ans de prison ferme, Paolo Persichetti obtiendra en 2008 un égime de semi-liberté.Pour écouter l'intégralité de l'archive enregistrée le 8 février 1995 et diffusée une semaine plus tard, c'est par ici :
Archive INA-Radio France

Episode 4/5 Les années de plomb vues de France : 2002, quand Paris incarcérait le médecin personnel de l'Abbé Pierre
En 2002, l'abbé Pierre s'est rendu en prison pour une visite discrète à son médecin personnel... derrnière les barreaux à la prison de la Santé.
Le 22 février cette année-là, les autorités françaises avaient en effet incarcéré un certain Michele D'Auria, exilé en France sous le nom d'Antonio Canino depuis sept ans. D'Auria-Canino avait été condamné par contumace en Italie pour plusieurs attaques à main armée impliquant en réalité son frère Luccio, ancien membre du groupe d'extrême-gauche Prima Linea en Italie.
En septembre 2002, Jean Lebrun consacre une pleine émission à ces militants dont on estime qu'ils sont encore entre cent-cinquante et deux cents à vivre en France à cette époque. Pas inquiétés depuis les années 80 de ce côté-ci des Alpes par le truchement de ce qu'on a pris l'habitude de nommer "doctrine Mitterrand" (voir l'épisode 3/5 de cette série avec Cesare Battisti) ils sont soudains déclarés "extradables" par la justice française.
Avec cet extrait issu de l'émission "Pot au feu" du 20 septembre 2002 sur France Culture, revisitez cet épisode méconnu de l'histoire franco-italienne. Jusqu'aux polémiques qui germaient alors au sein du mouvement Emmaüs, avec l'intervention de Guillermo Balestrino au micro de Khaled Sid Mohand :
C'est seulement en 2005 que le Conseil de l'ordre des médecins autorisait D'Auria-Canino - libéré entre-temps - à exercer à nouveau la médecine en France.
Pour écouter l'intégralité de l'émission, où furent également diffusés les témoignages de Cesare Battisti (épisode 3/5) et Antonio Negri (épisode 2/5) il vous suffit de passer par ici :

Episode 3/5 Cesare Battisti en 2002 sur les années de plomb : "L'Italie n'avait pas d'autre choix que la lutte armée" **
En France, Cesare Battisti est reconnu comme écrivain à partir de 1993 et la sortie de son premier polar dans la Noire chez Gallimard. Il est aussi l'un de ces militants issus de l'extrême-gauche italienne condamnés par contumace en Italie, et réfugiés en France - on appelle cela "la doctrine Mitterrand". Jusqu'à 2004 et sa fuite au Brésil, lorsque Paris a soudain renoncé à garantir l'accueil à ces Italiens dont beaucoup avaient creusé leur sillon dans le monde universitaire ou culturel.
A l'époque, Erri de Luca avait appelé publiquement à une amnestie de Battisti, arguant que l'Italie des années de plom était une Italie en guerre civile. La justice italienne ne l'avait pas suivi et Battisti est toujours reconnu coupable. Deux ans avant son départ au Brésil et le feuilleton qui s'ensuivit jusqu'à son incarcération en 2007, Cesare Battisti était invité par Jean Lebrun dans l'émission "Pot au feu" consacrée à la fin de la "doctrine Mitterrand".
Ce 20 septembre 2002, un débat s'entame sur France Culture avec Marc Lazar, historien spécialiste de l'Italie. Prendre les armes dans les années de plomb ? "Une erreur ", témoigne Battisti, mais surtout "un piège " tendu par le parti communiste - "les staliniens " dit Battisti. Lequel ne se reconnait rétrospectivement "pas d'autre choix " :
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En écoutant l'intégralité de cette émission de 2002, vous pourrez notamment entendre Lazar resituer historiquement la lutte de l'extrême-gauche italienne dans le paysage européen. Ou encore Battisti raconter les influences dont lui et les siens se revendiquaient durant les années de plomb, comme Michel Foucault - "A l'époque, c'était un peu osé. On ne nous comprenait pas trop ."

Episode 2/5Toni Negri en 2002 : "Les erreurs tactiques et politiques ont été très importantes"
Alors que depuis les années 70, par le truchement de ce qu'on a pris l'habitude de nommer "doctrine Mitterrand", la France n'expulsait pas la petite centaine de militants d'extrême-gauche italiens réfugiés en France, le gouvernement Raffarin créait une brêche en 2002. En août, cette année-là, Paris accédait à la demande d'expulsion de Rome et reconduisait à la frontière Paolo Persichetti, condamné en appel à 22 ans de prison pour le meurtre d'un général.
A l'occasion d'une émission "Pot au feu" de Jean Lebrun, le 20 septembre 2002 sur France Culture, Khaled Sid Mohand rencontre le philosophe Toni Negri, qui a passé quatorze ans réfugié en France avant de rentrer volontairement en Italie purger sa peine.
Au micro, Negri, qui s'exprime alors qu'il est en liberté surveillée, ne se défie pas du passage à la lutte armée. Lorsque le journaliste suggère une "autocritique " à l'ancien leader du mouvement autonome opéraïste, voici sa réponse... pas tant pour sa manière de botter en touche quant à l'autocritique et la notion de repentir que pour ce qu'il dit des "erreurs théoriques et pratiques " commises à l'époque de la lutte. Parmi ces erreurs ? Avoir eu raison trop tôt, notamment sur la fin de la classe ouvrière, écoutez plutôt par ici :

Pour écouter l'intégrale de cette émission du 20 septembre 2002, rendez-vous juste au-dessus, à l'épisode 3/5 de cette série, vous y retrouverez Toni Negri mais aussi Cesare Battisti, invité de "Pot au feu" sur France Culture.

Episode 1/5 Erri De Luca en 2010 : "Nous avons obéi à ce qu'il fallait faire dans ces années-là"
Poursuivi pour avoir appelé au "sabotage " de la ligne de train à haute vitesse Lyon-Turin, De Luca a annoncé qu'il ne ferait pas appel. Revenant sur ses années auprès du mouvement d'extrême-gauche Lotta continua sur France Culture, il y a cinq ans, il revendiquait déjà sa "loyauté" envers "cet engagement, ces idées, et la vie de ces années-là ".
Invité de l'émission Hors champs le 7 octobre 2010, il y a exactement cinq ans, l'écrivain napilitain Erri de Luca se réclamait de "la dernière génération révolutionnaire ".

Interrogé par la productrice Laure Adler sur Adriano Sofri, le fondateur de Lotta Continua, resté longtemps derrière les barreaux plutôt que de réclamer un aménagement de peine, De Luca formulait cette réponse :
Je vois seulement des personnes qui sont restées loyales avec ces engagements, ces idées, et la vie faite dans ces années-là. Je sais que ces années sont terminées, mais je reste loyal.
Réécoutez l'ensemble du témoignage de De Luca il y a cinq ans, à la lumière de son procès d'aujourd'hui :
A retrouver, aussi : l'émission spéciale des Matins de France Culture enregistrée chez Erri de Luca le 5 octobre 2015.
